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CHAP. VI. — DE SEPTIME-SÉVÈRE À DIOCLÉTIEN

parties intimes de l’âme des contemporains, il est de nature à intéresser quiconque réfléchit.

Ce qu’il exprime d’abord, avec une force et une sincérité singulières, c’est le détachement des choses terrestres, le désir et le besoin de libérer l’âme du corps[1]. L’ascétisme grec, tel qu’il s’était développé depuis Socrate, chez Antisthène, chez Zénon, chez Épictète, vient aboutir à ce livre comme à son terme naturel. Seulement, la rupture des liens matériels, l’indifférence aux choses qui ne dépendent pas de nous, n’y sont plus présentées comme une fin, ni comme le suprême effort de la vie. Elles y sont posées en principe, comme la donnée préalable de toute philosophie. Le stoïcisme tendait à affranchir l’homme. Pour Plotin, cet affranchissement est le point de départ de toute activité intellectuelle et morale. Impossible de se mettre plus résolument hors du monde, de se jeter plus immédiatement dans l’idéal. Plotin, nous dit Porphyre, semblait rougir d’être dans un corps, ἐῴϰει αἰσχυνομένῳ ὅτι ἐν σώματι εἴη (eôkei aischunomenô hoti en sômati eiê)[2]. Voilà le parti pris fondamental. De là, l’élan premier et décisif, qui emporte toute la doctrine : nous avons affaire à un homme qui commence par rejeter l’humanité. Terme nécessaire d’une tendance née de l’hellénisme, mais destructrice du vrai esprit hellénique. Dès que la raison avait commencé à critiquer les conditions normales de la vie, à vouloir soustraire l’homme a la loi de la nature, considérée comme une servitude, elle devait peu à peu en venir là. Plus les liens de la cité se détendirent, plus le mouvement se précipita. Dans les misères du iiie siècle, dans le néant politique, dans la confusion sociale, il était fatal qu’un grand esprit le conduisît d’un

  1. Enn., I, l. II, 1 : Ἐπειδὴ τὰ ϰαϰὰ ἐνταῦθα ϰαὶ τόνδε τὸν τόπον περιπολεῖ ἐξ ἀναγϰης, βούλεται δὲ ἡ ψυχὴ φεύγειν τὰ ϰαϰὰ, φευϰτέον ἐντεῦθεν. (Epeidê ta kaka entautha kai tonde ton topon peripolei ex anangkes, bouletai de hê psuchê pheugein ta kaka, pheukteon enteuthen). — Enn., III, l. IV, 2 : Φεύγειν δεῖ πρὸς τὸ ἄνω (Pheugein dei pros to anô).
  2. Vie de Plotin, 1.