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LE ROMAN ; XÉNOPHON D’ÉPHÈSE

pays lointains ni dans un temps fabuleux. Le lieu de la scène est le littoral de la Méditerranée, Ionie, Rhodes, Chypre, Cilicie, Syrie, Égypte, Sicile et Grande Grèce. Le temps, sans être strictement déterminé, est celui de l’empire romain ; l’administration impériale apparaît çà et là. À un monde fabuleux a donc succédé le monde réel. En outre, si les événements continuent à se produire au hasard, du moins il y a effort pour resserrer le lien moral des situations, en donnant plus d’importance aux volontés des personnages principaux. Habrocomès, avant son mariage, a offensé Éros par ses dédains ; la colère du dieu le poursuit, tandis qu’Apollon, Artémis et Isis prêtent leur appui aux deux victimes. Puis, les deux jeunes époux se sont juré l’un à l’autre de se rester fidèles, quoi qu’il arrive ; et la plupart des dangers qu’ils courent résultent précisément de l’observation volontaire de ce serment. Par là, un intérêt plus vif s’attache à eux : ce ne sont pas simplement des jouets de la destinée, ce sont des cœurs passionnés, qui obéissent à des sentiments nobles et profonds. Il y a d’ailleurs, dans le récit, sinon des portraits vivants, du moins certaines esquisses assez nettes. Si l’auteur avait su serrer de plus près la réalité, le roman de mœurs eut été créé. Mais il lui manquait pour cela la puissance qui donne la vie. Son récit, léger, rapide, d’un tour assez élégant, est superficiel jusqu’à la sécheresse. Il n’approfondit rien, ne détache rien avec vigueur. Dans l’expression même de sentiments vrais et touchants, il se contente des conventions faciles de l’école. En cela, bien qu’il s’exprime dans un langage souvent négligé, qui n’est ni attique ni même classique[1], Xénophon est sophiste de tradition ; son plus grand mérite, comme écrivain, consiste à éviter la prolixité vide, trop commune en ce siècle.

  1. E. Rohde, p. 405, note 1.