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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

cédant au mouvement de l’opinion, tendait à devenir un genre oratoire, et il fallait aux vrais maîtres de morale une certaine fermeté pour se défendre d’un engouement si général.

En dehors même de la philosophie, les emplois sérieux ne manquaient pas absolument à l’art des orateurs de ce siècle. Beaucoup des sophistes en renom exerçaient, en même temps que la profession de maîtres de rhétorique, celle d’avocats[1]. Nikétès s’illustra plus encore par ses plaidoyers que par ses déclamations[2]. Scopélien n’y eut pas moins de succès[3] ; il plaidait gratuitement dans les causes criminelles, et se montrait, dans les causes civiles, plein de dignité et de modération[4]. Polémon, après eux, se fit d’abord connaître dans les tribunaux. Jeune encore, il vint plaider à Sardes avec grand succès, devant les centumvirs qui rendaient la justice en Lydie[5]. Hérode Atticus ne mit peut-être pas son éloquence au service d’autrui, mais il semble bien qu’il se soit défendu lui-même dans les nombreuses affaires où il fut engagé. Vers le même temps, Lucien débutait, lui aussi, comme avocat, devant les tribunaux d’Antioche. Ce serait donc une erreur grave de croire que ces artistes d’éloquence aient négligé ou dédaigné les affaires. Seulement, ils y portaient sans aucun doute beaucoup des habitudes de l’école, et les juges, dont le goût était celui du temps, ne s’y montraient pas insensibles. D’autre part, un certain nombre de causes importantes étaient évoquées devant le conseil de l’empereur à Rome, particulièrement les contestations assez fré-

  1. Sur l’opposition du genre judiciaire (δικανικόν) et du genre sophistique (σοφιστικόν), voyez Phil., V. Soph., II, 4, 2.
  2. Philostrate, V. des Soph., I, c. 21, 3 : Νικήτην μελετήσαντα μὲν ἐπιφανῶς, πολλῷ δὲ μεῖζον ἐν δικαστηρίοις πνεύσαντα.
  3. Ibid., 4 : τῆς τοῦ Σκοπελιανοῦ ἐν τοῖς δικαστηρίοις ἀκμῆς.
  4. Ibid., 5.
  5. Ibid., c. 22, 4.