Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
562
CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

les autres débitaient de mémoire. Quelques-uns offraient au public plusieurs sujets et lui laissaient la liberté de choisir ; lorsqu’un grand personnage assistait à la séance, c’était à lui, naturellement, qu’était attribué l’honneur du choix. Mais les improvisateurs renommés demandaient simplement à leurs auditeurs de leur désigner un sujet. Ils prenaient alors quelques minutes de réflexion, et ils parlaient d’abondance.

Le public, passionné pour l’art à la mode, écoutait avec une attention d’abord curieuse et bientôt frémissante. À mesure que le discours se développait et qu’on voyait naître les pensées inattendues, les arguments ingénieux et subtils, les sentiments pathétiques, l’enthousiasme éclatait. À certains moments, les cris d’admiration, les applaudissements partaient de tout côté[1]. Une belle période, savamment conduite, qui s’achevait comme d’elle-même sans effort apparent sur une cadence mélodieuse, ravissait tous ces connaisseurs, comme chez nous, une belle phrase musicale dans un concert. Les traits brillants, les sentences, les antithèses étaient acclamés. De moment en moment, l’exaltation grandissait[2] ; elle passait du public à l’orateur, qui, tout transporté par le succès, semblait se surpasser lui-même en invention dialectique, en abondance de mots sonores, en sentiments vibrants et passionnés[3]. La séance finissait dans une sorte d’ivresse, au milieu de laquelle les com-

  1. Ælius Aristide, invité à parler devant Marc-Aurèle, demandait l’autorisation d’amener ses élèves et qu’il leur fût permis de crier et d’applaudir, καὶ βοᾶν καὶ κροτεῖν. (Phil., V. S., II, c. 9.)
  2. Aristide, Περὶ τοῦ παραφθέγματος, p. 530, Dindorf : Σκοτοδινιᾷ δὴ πᾶς ἐνταῦθα ἀκροατὴς καὶ οὐκ ἔχει τίς γένηται, αλλ’ ὥσπερ ἐν παρατάξει κυκλούμενοι θορυβοῦνται, καὶ ὡς ἕκαστος ἔχει φύσεως ἢ δυνάμεως οὕτως.
  3. Voyez, sur cette inspiration, une autre curieuse page d’Aristide, même discours, p. 528. « Une lumière divine, dit-il, environne l’orateur », et il ajoute : εὐθὺς μὲν τόνου καὶ θερμης ἐνέπλησε μετ’ εὐθυμίας, ἦρε δέ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἄνω καὶ τὰς τρίχας διέστησε, etc.