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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

assis sur son fauteuil ; mais lorsque le sujet y prêtait, il s’animait, se dressait brusquement, se frappait la cuisse, comme pour s’exciter lui-même. Il excellait dans les sujets médiques, où il jouait à merveille les rôles des Darius et des Xerxès ; nul ne rendait comme lui le mélange de hauteur et de naïveté qui convenait à des rois barbares[1]. Polémon, dans les moments pathétiques, bondissait de son siège et frappait du pied, nous dit Philostrate, « comme le coursier d’Homère »[2]. En fait, ces discours fictifs ressemblaient beaucoup à des discours de tragédie ; celui qui les débitait incarnait en lui le personnage qui était censé parler ; il était tenu, pour bien faire, d’exprimer par sa physionomie, par sa tenue, par ses gestes, le caractère qui lui était propre et les sentiments qu’il lui attribuait[3].


Les séances oratoires données par les sophistes s’appelaient, d’un terme général, des montres (ἐπιδείξεις) ; expression qui servait aussi à désigner les discours qu’on y produisait en public. Ces séances, les sophistes les donnaient assez souvent dans la ville où ils résidaient ; par exemple, lorsqu’un personnage de distinction venait à passer et désirait admirer leur talent. Mais, non moins ordinairement, ils allaient se faire entendre dans les villes voisines, quelquefois fort loin de chez eux ; car le sophiste était voyageur ; il avait besoin de changer de public, pour ne pas s’user trop rapidement, et il y ga-

  1. Philostr., V. S., I, c. 21, 5.
  2. Ibid., II, c. 25, 7.
  3. On désignait ce jeu, comme celui des acteurs, par le mot ἀγωνίζεσθαι, qui pouvait s’employer avec le nom du rôle à l’accusatif : Ἀρτάβαζον ἀγωνίζεσθαι, « jouer Artabaze », c. à. d. prononcer un discours censé tenu par Artabaze ; Philostr., V. S., II, c. 5, 4. On disait même ὑποκρίνεσθαι, par exemple : τὸ Δαρεῖου καὶ Ξέρξου φρόνημα καλῶς ὑποκρίνεσθαι (Ibid., I, c. 25, 9). Aristide, Or. 49 (Dind., p. 493) : ἄν μὲν Δημοσθένη, ἤ Μιλτιάδην, ἢ Θεμισστοκλέα, ἢ τὸν ὁμώνυμον (Aristide) ὑποκρίνωμαι, τὸ ἐκεὶνων ἦθος εἰκάσαι δεῖ με.