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PLUTARQUE ; LES VIES PARALLÈLES

qu’historien, c’est qu’il rapporte toujours l’histoire à la morale, et que sa morale n’est pas appropriée à l’histoire. Celle qu’il enseigne, et en laquelle il a foi, est une morale excellente de vie privée, faite pour la famille, pour les relations sociales, morale très saine, très généreuse, mais trop simple pour la vie publique. L’homme politique est sans cesse en présence d’intérêts en lutte, et parfois tous ces intérêts contraires sont respectables, tous ont des droits, tous peuvent s’autoriser de certains principes. Il faut pourtant bien qu’il agisse, c’est-à-dire qu’il sacrifie les uns aux autres, qu’il subordonne les choses secondaires au but principal qu’il a en vue. Le choix à faire est délicat, les erreurs sont faciles. Il est impossible qu’il ne se trompe pas plus d’une fois. Mais si l’histoire note ses fautes une à une, sans tenir compte des intentions générales et des circonstances, si elle lui applique une sorte de décalogue inflexible, elle se trompe plus encore. C’est ce qui arrive à Plutarque. Dans l’homme public, il cherche toujours par habitude l’homme privé. Son intelligence politique n’a pas assez de force ni de pénétration pour dégager les vues supérieures. Il en résulte que ses mesures sont souvent trop étroites pour ses personnages. En voulant être juste, il devient en réalité injuste : car sa justice ne s’adapte pas à ceux qu’elle condamne.

Donc, comme œuvre historique, les Vies parallèles sont sujettes à de sérieuses critiques. Mais, cela dit et reconnu, il n’en reste pas moins qu’elles ont charmé, et qu’elles charmeront encore, quantité de lecteurs : ce qui implique qu’elles ont en elles-mêmes une incontestable valeur, littéraire et morale.

C’est d’abord une sorte de galerie, où toute l’humanité antique se montre à nous, sous des aspects infiniment variés, dans ses représentants les plus éminents. Chez les historiens proprement dits, les hommes sont