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PHILON ; L’ÉCRIVAIN

À côté de ces passages pleins d’élan, on pourrait en citer plusieurs autres où se laisse pressentir un aspect un peu différent de la littérature chrétienne, la méditation grave et triste sur les peines de la vie, adoucie par la piété qui se réfugie en Dieu. Détachons seulement quelques lignes des pages touchantes où Philon, en gémissant sur les circonstances qui l’ont arraché à sa vie tranquille, laisse deviner la consolation qu’il trouve à revenir, dès qu’il le peut, à ses hautes contemplations :

« Si tout à coup, dans cette tempête de la politique, un instant de calme m’est donné, alors, ouvrant mes ailes, je m’élève au-dessus des flots ; je m’élance presque dans les routes de l’air, porté par les souffles de la science, qui me conseille sans cesse de fuir avec elle, de me soustraire à ce dur esclavage, non seulement des hommes, mas des affaires, qui fondent sur moi de tout côté comme les eaux de l’orage. Et pourtant, dans ces épreuves, il convient encore de remercier Dieu, de ce que, couvert par les vagues, je ne suis pourtant pas englouti. Non, ces yeux de l’âme, que quelques-uns croyaient fermés à jamais par la perte de toute espérance, je les ouvre toujours, et j’y laisse pénétrer la lumière de la sagesse, sans vouloir abandonner toute ma vie aux ténèbres[1]. »

À coup sûr, ce n’est plus là du Platon ; c’est quelque chose de neuf et de personnel, ou la poésie de la Bible se mêle aux souvenirs classiques, sous l’influence prédominante d’un mysticisme qui appartient à un autre âge de l’humanité.

Voila ce dont il faut tenir compte pour apprécier justement l’influence et le mérite de Philon. Comme penseur, il a été le principal promoteur d’un grand renouvellement de la philosophie ancienne ; il annonce déjà le néoplatonisme, et aussi la théologie chrétienne, en ce qu’elle a de commun avec cette doctrine[2]. Mais son in-

  1. Des lois particulières, III, ch. 1.
  2. Massebieau, ouv. cité, p. 1 : « La nécessité de connaître Philon,