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PHILON ; L’ÉCRIVAIN

sonnages. Il y a donc de l’artifice dans sa manière, comme dans celle des meilleurs écrivains grecs de son temps ; et peut-être, à cet égard, ses écrits les plus soignés, tels que son Moïse par exemple, sont-ils dans l’ensemble de son œuvre les moins réellement platoniciens.

Mais ce serait lui faire tort que de s’en tenir à ce point de vue. Le mérite original de Philon comme écrivain n’est pas d’avoir reproduit quelque chose du langage de Platon ; c’est bien plutôt, à mon avis, d’avoir souvent réussi à traduire des sentiments nouveaux dans une forme appropriée. La Grèce païenne avait peu connu le mysticisme ; du moins, elle ne l’avait exprimé qu’accidentellement dans sa littérature. Philon est le premier prosateur qui ait su s’adresser à Dieu, ou parler de lui aux hommes, avec cet accent de piété ardente et cette sorte de solennité sincère qui allaient devenir ordinaires aux écrivains chrétiens.

Pour préciser cette observation, remarquons d’abord qu’il a déjà, quand il parle des œuvres divines, la magnificence à demi poétique, mais en même temps profondément religieuse, des futurs prédicateurs chrétiens :

« Quelqu’un qui entrerait dans une cité bien policée, où toute la vie publique serait ordre et beauté, ne se dirait-il pas aussitôt : Voilà une cité qui a pour la gouverner des chefs excellents ? Eh bien, celui qui arrive dans la cité vraiment grande, je veux dire cet univers, et qui contemple la montagne et la plaine également remplies d’animaux et de plantes, le cours des fleuves qui naissent des sources et celui des eaux torrentielles, les mouvements des mers, l’heureux équilibre de la température et la succession des saisons de l’année, puis le soleil et la lune, ces guides, du jour et de la nuit, et ces révolutions des astres, fixes ou errants, qui tournent comme un chœur de danse avec le ciel tout entier, n’est-il pas naturel, ou plutôt n’est-il pas nécessaire, qu’il conçoive aussitôt un