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LE TRAITÉ DU SUBLIME

très ouvert. Point de préjugé national. Il a lu les écrivains latins et il les admire : il compare Cicéron à Démosthène (ch. 12), et il apprécie fort bien ses qualités propres. Chose plus surprenante : il n’est même pas étranger à la littérature judaïque : c’est le premier Grec, à notre connaissance, qui ait senti la grandeur des premiers versets de la Genèse (ch. 9). Point de timidité scolaire non plus. L’école incline toujours à mettre la correction au-dessus de tout. Il estime, lui, qu’il n’y a point de grandeur sans défaut, et il n’admet pas que les écrivains impeccables puissent être égalés à ceux qui tombent parce qu’ils s’élèvent (ch. 33)[1].

En second lieu, un sentiment littéraire très vif, très sincère, très ardent même par moments, qui donne à toutes ses appréciations, et aussi à son style, quelque chose de vivant et de personnel[2]. Il sent avec force la beauté d’une peinture de passion, telle que celle du célèbre fragment de Sapho qu’il nous a conservé (ch. 10) : et quand il commente certains traits admirables d’Homère, d’Eschyle ou de Démosthène (ch. 9, 15, 46), s’il n’est exempt ni de recherche ni de bel esprit, son enthousiasme a pourtant quelque chose de communicatif. D’ailleurs, la finesse, la grâce, l’ironie légère le touchent aussi ; et, bien qu’il mette avec raison Hypéride au-dessous de Démosthène, il a défini son talent en termes excellents (ch. 34).

Enfin, une certaine générosité morale, qui révèle l’honnête homme dans le professeur. Nul, mieux que lui, n’a compris et dit à quel point la grandeur littéraire

  1. Voyez aussi (ch. xxxii) comment il admire Platon et le défend contre Cécilius.
  2. Boileau (Trad., Préface) dit avec quelque exagération : « En traitant des beautés de l’élocution, il a employé toutes les finesses de l’élocution. Souvent il fait la figure qu’il enseigne, et, en parlant du sublime, il est lui-même très sublime. »