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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

Dans ce cercle intelligent, on causait littérature ; et Denys, avec son érudition, ses lectures variées, son goût juste et ses qualités critiques, y était fort écouté. Beaucoup de ses écrits naquirent de ces conversations. Les uns sont des consultations littéraires, adressées à quelques amis absents ; d’autres sont des explications, à propos de tel ou tel point débattu et resté douteux ; le plus petit nombre seulement consiste en de véritables traités, composés à loisir. Quels qu’ils soient, tous ont cet intérêt, de nous représenter très fidèlement la vie intellectuelle de cette petite société érudite, pédante et batailleuse, qui, après tout, ne doit pas être considérée comme un élément sans importance dans la grande société romaine du temps.

L’horizon des idées y était étroit, comme il l’est naturellement dans les écoles qui n’ont point d’ouverture sur la rue. Les grandes choses du monde touchaient médiocrement ces petits professeurs grecs. Ils vivaient en dehors de la vie réelle, dans leurs livres ; et il leur manquait à tous cette largeur de vues, cette liberté d’esprit, cette faculté de juger de la valeur réelle des choses, qui ne se forment que par une ample expérience de l’humanité. Nulle philosophie en eux, ni spontanée, ni acquise. Un dogmatisme médiocrement intelligent, et des passions de bibliothécaires. Vivant sur le passé, habitués à commenter des textes et à les critiquer devant des élèves, exclusifs dans leurs admirations, entêtés dans leurs jugements, ils se querellaient tous les jours sur des questions de goût, qu’ils interprétaient petitement. Une exagération provoquait une exagération contraire : les uns ne juraient que par Platon, les autres lui en voulaient furieusement de ce qu’il n’avait pas écrit comme Lysias ; quelques-uns faisaient de Thucydide le modèle même de l’histoire, et d’autres au contraire se scandalisaient de sa subtilité puissante et même de son admi-