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SA THÉORIE DES CAUSES

les origines de la seconde guerre punique, il s’attachera surtout à découvrir d’autres événements antérieurs, liés à celui-ci par une relation nécessaire : dans cet exemple spécial, il donne comme la cause immédiate de la guerre la politique d’Amilcar[1]. C’est assez dire la part considérable qu’il accorde à la volonté des individus dans la direction des événements. Et, de même, dans l’issue favorable ou funeste d’une guerre, d’une négociation, il est loin de méconnaître la part immense qui revient au talent ou à la sottise d’un général, au génie ou à l’erreur d’un politique. De là tant de portraits dans son histoire, tant d’attention à mettre en lumière le fort et le faible des hommes qui ont agi sur les événements, un Annibal, un Philopémen. Les volontés ou les talents de ces hommes, à un moment donné, ont été des causes : leurs « pensées », leurs « dispositions », les « raisonnements suscités en eux par les choses[2] », ont produit de grands effets. C’est donc le devoir de l’historien de les étudier, et Polybe n’y manque pas.

Mais ce genre de causes particulières n’exclut pas d’autres causes plus générales, moins communément étudiées jusqu’alors, et auxquelles Polybe attribue avec raison une importance souveraine. Ce sont les « pensées », les « dispositions », non plus d’un homme à un moment donné, mais d’une nation tout entière pendant une période plus ou moins longue, ou d’un groupe considérable d’individus. En d’autres termes, ce sont les idées traditionnelles et les mœurs, mais par dessus tout les institutions politiques et militaires, qui sont, aux yeux de Polybe, la source première des mœurs générales, et par conséquent la plus puissante des causes historiques. « En toute affaire, la plus grande cause de succès ou d’insuccès pour un État, c’est la nature du

  1. Polybe, III, 9, 6.
  2. Polybe, III, 6, 7.