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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

dans ses œuvres aux passions qui ont rempli sa vie. Ces passions ne sont pas, en général, d’un ordre très relevé. Les éphèbes et les courtisanes qu’il chante dans ses vers n’étaient pas de nature à lui inspirer des accents sublimes. Quelques-uns de ces vers sont obscènes ; d’autres sont gâtés par le bel-esprit. Beaucoup ont un mérite de sincérité dans l’émotion, d’ardeur naïvement sensuelle, d’admiration pour la beauté, d’esprit et de verve ingénieuse, qui suffit à les mettre fort au-dessus de la plupart des œuvres du même temps. Quelquefois, il s’élève plus haut encore : il a des accents d’une mélancolie et d’une tendresse touchantes. Quand la mort lui eut ravi Héliodora, qu’il avait souvent chantée pour sa beauté et pour son esprit, il sut dire sa tristesse en des vers vraiment beaux[1] :

Que mes larmes, jusque sous la terre, Héliodora, aillent vers toi comme un présent, comme une relique de mon amour dans l’Adès, larmes cruelles à verser. Sur ta tombe tant pleurée, je répands la libation de mes regrets, souvenir de mon amour. Moi, Méléagre, je gémis sur toi, ô chère morte, douloureusement, bien douloureusement, vaine offrande à l’Achéron. Hélas, hélas ! où est mon rameau verdoyant si aimé ! Adès me l’a ravi. Il me l’a ravi, et cette fleur épanouie a été souillée de poussière. Ah ! du moins, je t’en prie à genoux, terre nourricière, que cette enfant si regrettée soit par toi, ô mère, reçue avec douceur sur ton sein et dans tes bras !

La tristesse des choses humaines, même sans retour direct sur lui-même, l’émeut, et il retrouve quelque chose de cette mélancolie pénétrante pour chanter une jeune mariée morte le jour de ses noces[2]. Il a parfois des expressions d’une douceur exquise[3]. Ailleurs, il dit avec une grâce infinie les frayeurs douloureuses de

  1. Épigr. 109 (Jacobs).
  2. Épigr. 125.
  3. Épigr. 96 (ψυχὴ τῆς ψυχῆς).