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LYCOPHRON

sérieux de la pensée et de la sincérité du sentiment, il se trouve toujours quelques excentriques pour chercher, dans des combinaisons bizarres de vocables obscurs, un plaisir qui tient peut-être de la musique ou du rève, mais qui n’a certainement plus rien de commun avec le bon sens. Cela se voit de tout temps et en tout pays. À Alexandrie, l’initiateur de cette extravagance fut Lycophron, surnommé « l’obscur. »

Lycophron était né à Chalcis, en Eubée, vers la fin du ive siècle[1]. Il vint à Alexandrie comme tant d’autres, attiré par l’éclat de la cour de Philadelphe, et y conquit une grande réputation comme poète tragique et comme érudit. Il composa en prose un écrit étendu Sur la comédie[2]. Nous connaissons les titres et quelques fragments d’une vingtaine de ses tragédies et d’un drame satyrique intitulé Ménédème[3]. Il fut compté parmi les écrivains de la « Pléiade » tragique alexandrine.

Mais il doit surtout sa célébrité à l’étrange poème intitulé Alexandra. C’est une sorte de prodigieux couplet tragique, de 1474 vers, où une esclave, semble-t-il, rapporte à un interlocuteur inconnu, après quelques vers d’introduction, des prophéties d’Alexandra, c’est-à-dire de Cassandre, fille de Priam. Ces prophéties s’étendent jusqu’à la période alexandrine, ce qui a permis au dernier éditeur de placer la composition de l’ouvrage en 274 ; mais cette date, à quelques années près,

  1. Notice de Suidas ; Vie anonyme, dans Westermann, Βιογράφοι, p. 48. Cf. SusemihlI, p. 272-279, et surtout l’Introduction de Holsinger, en tête de son édition et traduction de l’Alexandra, Leipzig, 1895. Cf. aussi P. Couvreur, Revue critique, 1896, I, p. 227. M. Bates, dans les Harvard Studies in classical Philology, Boston, t. VI, (The date of Lycophron), place la naissance du poète en 320, et sa mort vers 250.
  2. Cf. Athénée, XI, p. 483, D.
  3. Cf. Suidas. Fragments dans Nauck. Tragic. graecorum fragm., p. 817-819 (2e éd.).