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562 CHAPITRE XII. — LA THÉOGONIE

siste qu'en énumérations de noms*. » Evidemment celui qui parlait ainsi n^y trouvait pas grand charme, et nous croyons que de nos jours bien peu de lec- teurs seraient d^un autre sentiment.

Mais il faut se dire que ces noms, insignifiants pour nous et par suite monotones, étaient pleins de vie pour le poète et ses auditeurs. Chacun d'eux leur rappelait mille souvenirs, éveillait dans leur âme mille sentiments confus, et y faisait surgir en foule des images de toute sorte. Ils étaient charmés d'ailleurs de les voir ainsi groupés; cet ordre simple et harmonieux, qui distribuait les dieux en familles, donnait satisfaction à un besoin des esprits. On était heureux de sentir que désormais on les connaissait mieux, que l'immense domaine de la mythologie était maintenant facile à parcourir, et qu'on pouvait s'y retrouver sans aucune peine. Dans une religion qui n'avait point de livre sacré, ce poème rendait aux croyants quelques-uns des services qu'ils au- raient pu attendre d'un texte révélé. Il les rensei- gnait avec clarté et précision sur beaucoup de choses qui occupaient leur imagination. Et, indépcndain- mcnl de Tordre général, l'heureux agencement des noms dans chaque vers, la symétrie ingénieuse des groupes, la fine variété des consonances dans les énumérations, le choix et la splendeur des épithètes, tous ces menus artifices, auxquels nous faisons à peine attention, aidaient leur mémoire et donnaient du prix aux plus petites choses.

Si étrangers que nous soyons naturellement à cette façon de sentir, nous pouvons encore nous la repré- senter, tout au moins par moments. Lorsque le poète énumère par exemple les cinquante filles de

1. Quintil., X, 1, 52 : Magna pars ejus in nominibus est occupata.

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