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366 CHAPITRE VII. — L'ART DANS L'ODYSSEE

Ulysse, dans V Odyssée^ est le type de Thomme qui veut parce qu'il aime, et qui réussit parce qu'il veut. Cette conception, si frappante et si noble, est d'ail- leurs exempte de toute raideur. Bien loin de s'en- durcir dans une sorte d'obstination méprisante et surhumaine, l'àme du héros reste ouverte à toutes les émotions. La souffrance semble toujours neuve dans ce cœur si exercé à souffrir. Rien de plus tou- chant que sa plainte quand la tempête le saisit au milieu de la mer :

« Ah ! trois et quatre fois heureux ceux des Danaêns qui ont péri dans la grande plaine de Troie pour venger rolTense des Alrides! Moi aussi, que ne suis-jc mort avec eux! Que n'ai-je vu le terme de ma destinée le jour où les Troyens en masse m'accablaient sous leurs javelots d'airain autour du cadavre d'Achille ! Si j'étais tombé là, j'aurais eu de glorieuses funérailles, et les Achéens auraient célébré mon nom. Au lieu qu'à présent, voici l'horrible mort que le destin m'avait réservée*. »

Il gémit, il espère, il se réjouit tour à tour avec une naïveté qui nous enchante. Quel tableau que celui de sa délivrance, quand il aborde à l'embou- chure du fleuve dans l'île des Phéaciens :

« Kcoule-moi, 6 fleuve, quel que soit Ion nom! Avec quel désir je viens à toi, échappé des flots et sauvé des menaces de Poséidon! Il est di^^ne de la pitié des Immortels, l'homme qui vient à eux. vajj^abond, comme je viens aujourd'hui vers tes eauY courantes, comme je me jette à les genoux, o dieu, brisé par la soulTrance. initié, roi de ces eaux! je suis ton sup- pliant. » — 11 parla ainsi; et le fleuve soudain suspendit son cours; il calma ses vagues, et devant le malheureux il étendit ses eaux en une nappe unie, et il le laissa trouver un refuge dans son estuaire. Alors Ulysse fléchit les deux genoux et laissa retomber ses bras robustes, car la vague avait brisé son

��1. Odrssrr, V. :i03-312.

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