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s’engage jette tout d’abord dans l’âme du lecteur une émotion profonde. L’effroi des prétendants, l’éclat terrible de la colère du héros, la prière de ses ennemis, la violence superbe de son dédain, autant de coups de théâtre d’une incomparable grandeur. Le récit du combat lui-même, malgré sa beauté, est moins parfait ; une sorte de symétrie dans les mouvements y donne à l’ordonnance générale quelque chose d’artificiel : on dirait que le poète, bien différent de celui de l'Iliade^ a besoin de péripéties empruntées à des causes extérieures, la lutte elle-même ne lui offrant pas assez de ressources. En revanche, il se retrouve tout entier dans les scènes finales, qui suivent le massacre, lorsque la violence des passions s’apaise et qu’à la fureur du vainqueur se môle quelque clémence. L’horreur de la vieille Euryclée à la vue de son maître tout couvert de sang et entouré de cadavres est d’une invention aussi forte que hardie (v. 398 et suiv.); et la purification solennelle du palais après le châtiment des servantes coupables clôt dignement par une scène d’une gravite religieuse cette série de tableaux d’une grandeur terrible et sinistre.

On ne peut douter que la partie principale du vingt-troisième livre, c’est-à-dire la Reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope^ n’ait été conçue et racontée dès l’origine dans la forme où nous la possédons par l’auteur inômc des scènes précédentes. En effet, si le sommeil merveilleux qui s’empare de Pénélope au XXI° livre (v. 357) la dispense heureusement de prendre aucune part aux événements sanglants du XXII% il implique nécessairement que le poète lui ménage au réveil la surprise par laquelle ses longues épreuves vont prendre fin. Nous retrouvons d’ailleurs, dans la scène même de la reconnaissance,