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RÉFLEXIONS PRELIMINAIRES 177

selon lui, n'avaient appris que tardivement à cons- truire un ensemble. Il lui paraissait impossible qu'à une époque très reculée, un homme, même supé- rieur, eut pu agencer les parties d'une aussi vaste construction poétique. Sous cette forme, l'affirmation a évidemment quelque chose d'arbitraire. Mais en nous invitant à réfléchir à l'art de la composition dans Vlliade, elle nous met sur la voie d'observa- tions peut-être décisives.

Assurément la plupart des scènes du poème sont liées les unes aux autres, mais elles le sont souvent si légèrement qu'elles nous laissent oublier, lorsque nous les lisons, leur relation avec Tensemble. Voici par exemple le cinquième livre, les Exploits de Dio- mède. C'est un des beaux épisodes du poème. Son- geons-nous, en l'admirant, à l'action générale et en particulier à la vengeance d'Achille que ces succès semblent éloigner indéfiniment ? Y songeons-nous au sixième livre , lorsque Hector est rentré dans Troie, lorsqu'il adresse à sa femme et à son enfant ces adieux touchants ? Ces scènes nous occupent tout entiers ; elles sont quelque chose d'indépendant ; elles nous détournent et nous retiennent. Le même caractère est frappant dans toute VIliade, Les épi- sodes s'y insèrent et se développent avec une liberté qui équivaut à un véritable oubli de l'ensemble. Mais si nous examinons chacune des parties du poème en elle-même, nous ne trouvons plus rien de cette façon de composer flottante et capricieuse, par- tout du moins où le caractère homérique est le plus nettement marqué. Les grandes scènes sont con- duites avec une rectitude et une simplicité parfaite- ment conformes à toutes les habitudes de l'esprit grec. Bien loin de se plaire aux détours, le poète les néglige parfois plus que nous ne le voudrions.

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