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SOUVENIRS

habillé des filles de Paris en vestales et des forts de la Halle en pleureurs d’Homère ; le cercueil était traîné sur un quadrige et surmonté par une effigie qui représentait M. de Voltaire, en cire de couleur, habillé comme aux temps héroïques, et couché sur une draperie de taffetas bleu, galonnée d’argent. Il était escorté par un assez bon nombre de Grecs, de Romains, de Gaulois, de Mexicains (compatriotes de la tendre Alzire) et de garçons bouchers qu’on avait coiffés en Orosmanes. Le cortège, qui venait du faubourg Saint-Denis, ne manqua pas de se diriger sur le Panthéon par le quai Voltaire (ci-devant des Théatins), afin de pouvoir s’arrêter devant la maison de M. de Villette, d’où sortit Belle-et-Bonne qui tenait une espèce d’enfant dans ses bras. Elle était costumée le plus singulièrement possible, en manière de fantôme, avec une grande chemise de toile toute blanche et ses cheveux épars. Elle se fit guinder avec son enfant sur le pinacle du quadrige, ce qui fut une opération difficile ; ensuite elle se mit à frotter ce quelque chose comme qui dirait un marmot, contre le cercueil, et dans tous les sens avec une vivacité si brusque, qu’il en fit des cris les plus aigus. Personne ne pouvait s’expliquer ni ce rite funèbre, ni l’intention de ce procédé, ni ce que Belle-et-Bonne attendait de ces rotations électriques ? Peut-être en espérait-elle une sorte d’émanation philosophique, et dans tous les cas son enfant n’en cria pas moins aigrement !

Il était survenu, pendant la marche du cortége un affreux déluge de pluie ; aussi, nous demandions-nous M. de Penthièvre et moi, en revenant