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l’air d’uno pôle et vieille tapisserie. Chez Rouchcr, en dépit du mauvais goût théâtral, de la déclamation philosophique et de l’enflure à la Jean-Jacques, il passe rà et là des éclairs do vie et de vérité poétique, tandis que chez Delille, pour employer en la variant une phrase célèbre, les idées mendient l’expression, et les images la couleur.

L’existence tout entière de l’auteur des Mois peut se raconter en deux mots. Il aimait passionnément la poésie, et il fit un mauvais poëme illuminé par de vraies beautés poétiques. Ajouterons-nous que, grâce à la protection de Turgot, il eut un instant les prosaïques fonctions de receveur des gabelles ; que, la Révolution venue, il se débattit dans les journaux et dans les clubs contre les plus terribles révolutionnaires, contre ces hommes du destin qu’il regardait les mains crispées, avec la nerveuse épouvante d’André Chénier. Rappelons seulement qu’il mourut sur l’échafaud comme Chénier lui-même. Quand on vint le prendre à Sainte-Pélagie pour le mener au supplice, il écrivit d’inspiration ces quatre vers au-dessous de son portrait qu’un ami venait déterminer :


à ma femme, à mes amis, à mes enfants.

Ne vous étonnez pas, objets sacrés et doux,
Si quelque air de tristesse obscurcit mon visage ;
Quand un savant crayon dessinait cette image,
J’attendais l’échafaud et je pensais à vous.


C’est le chant du cygne sous le couteau. Il est d’une tendresse et d’une fermeté qui gravent pour jamais dans les cœurs le nom d’un poëte.

HlPPOLYTE BABOU.

Le poëme des Mois a été publié en 2 volumes in-4o, Paris, 4779 »