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SEIZIÈME SIÈCLE.

duire du nouveau, comme autrefois l’Afrique. » Pasquier, qui a dit cela dans une de ses lettres, figurait justement parmi les commissaires envoyés à Poitiers en 1579. Magistrat de la plus haute et de la plus judicieuse compétence en même temps qu’homme du plus vif esprit, il était fait pour y briller de toutes les manières.

Une de ses premières visites fut pour les dames Des Roches, dont le renom poétique lui était parvenu jusqu’à Paris ; elles l’attendaient en grande parure, c’est-à-dire la gorge assez immodestement découverte suivant l’usage mondain de cette époque. Pendant la conversation qui fut sans doute assaisonnée de ces subtilités gaillardes qu’on se permettait si bien alors, même dans les entretiens avec les femmes, et dont les Ordonnances d’Amour de maître Estienne Pasquier sont le modèle un peu risqué[1], une puce téméraire se vint placer sur le sein nu de la belle Catherine, et en tacher la blancheur par une légère piqûre. De là grands éclats de rire, nouveaux propos galants de la part de l’aimable magistrat, puis de petits vers sur « cette puce très-hardie et très-prudente à la fois, puisqu’elle s’étoit mise en si belle place et en lieu de franchise. » Il les fit lire à ses amis, et les dames Des Roches, très-friandes d’hommages, se mirent de leur côté à les répandre par la ville. Les beaux esprits en prirent de l’émulation, ce fut à qui dirait son mot et ferait au moins son distique sur ce thème singulier, dont se révolterait notre temps, qui, ayant moins de vertu, a bien plus d’une certaine pudeur.

Chacun écrivit dans la langue qui lui était le plus familière, ceux-ci en français ou en italien, ceux-là, tels que Nicolas Rapin et le président Brisson, en vers latins, d’autres en vers grecs. Enfin, comme l’a dit Garasse en son style burlesque : « Cette puce a tant couru et sauté dans les esprits frétillants des Français, des Italiens et des Flamands, qu’ils en ont fait un Pégase. » L’événement désiré pour donner à ces Grands Jours de 1579 une célébrité comparable, sinon supérieure à celle des autres, n’était plus à chercher ; et Pasquier, pour renvoyer à qui de droit un peu de la gloire qui allait en résulter pour les graves assises, s’empressa de dédier au président des Grands Jours, Achille de Harlay, le recueil qu’il fit de toutes les pièces composées pour ce tournoi poétique et polyglotte : « Tu en riras, dit-il au lecteur dans la préface de la pièce qui est de lui, tu en riras, je m’assure ; aussi n’a été fait ce petit poëme que pour te donner plaisir. » Jacques de

  1. V. nos Variétés histor. et litt., t. II, p. 169-196.