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Nous ne l’entendrons plus du feu de son génie,
Répandre dans nos coeurs le charme et l’harmonie ;
Fulvie a déchiré de ses indignes mains,
Cet objet précieux, l’oracle des humains.
Mais on ne m’a point dit après ce coup funeste,
Ce que sa barbarie a pu faire du reste.

Octave

Eh bien, sur Cicéron suis-je justifié ?

Mécène

Si ce n’est pas César, qui l’a sacrifié,
Que de sa mort du moins, la plus haute vengeance,
De César soupçonné fasse voir l’innocence.

Octave

Si je m’en vengerai ? Quoi, tu peux en douter ?
Ta douleur sur ce point n’a rien à redouter ;
Ma haine désormais ne peut être assouvie,
Qu’en noyant dans son sang l’exécrable Fulvie.
Ce n’est pas Lucius qui m’en fera raison :
C’est Antoine qui doit payer pour Cicéron.
Si tu m’aimes encor va me chercher sa fille ;
Je veux de ce grand homme adopter la famille.
De tes cris, de tes pleurs tu m’as importuné,
Rends-moi de Cicéron le reste infortuné.
Pardonne à mon dépit une fatale feinte,
Qui porte à ma tendresse une si rude atteinte ;
En croyant l’effrayer, hélas ! je l’ai perdu ;
Par pitié rends sa fille à mon coeur éperdu ;
Je ne me connais plus, que mon sort t’attendrisse.

Mécène

C’est vouloir de vos maux accroître le supplice ;
Et comment osez-vous souhaiter de la voir ?
Pourrez-vous soutenir ses pleurs, son désespoir ?
Peignez-vous les tourments où Tullie est en proie.

Octave

Ah ! n’importe, Mécène, il faut que je la voie.

Mécène

Il est vrai que Tullie est rentrée en ces lieux,
Et j’ai cru qu’il fallait la soustraire à vos yeux ;
Sans vouloir cependant la voir ni la contraindre,
De son juste courroux que ne doit-on pas craindre ?
J’ai pris soin seulement qu’en ces moments affreux,
On ne l’instruisît point de son sort rigoureux.
N’allez point irriter une âme impérieuse,
Dont rien n’arrêterait la haine audacieuse ;
Quels efforts aujourd’hui n’a point tentés son bras,