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ivers,
Dont le génie heureux éclairait l’univers ;
Il n’est plus... Son salut vous eût couvert de gloire,
Et de vos cruautés effacé la mémoire.
Qu’ai-je besoin encor de vous dire son nom ?
Ah ! laissez-moi vous fuir et pleurer Cicéron.

Octave

Qui moi ? J’aurais livré ce mortel admirable,
Et c’est de ce forfait toi qui me crois coupable.

Mécène

C’est en l’abandonnant que vous l’avez livré :
De sang et de fureur votre coeur enivré,
Soigneux de me cacher la moitié de ses crimes,
Laisse au Tibre le soin de compter ses victimes.

Octave

Ah Mécène, un moment du moins écoute-moi !
Je ne veux entre nous d’autre juge que toi.
Moi-même, pour sauver le père de Tullie,
J’ai disposé sa fuite à l’insu de Fulvie,
Et chargé de ce soin Léna, Salvidius,
Soutenus par Philippe et par Herennius ;
C’est par eux qu’en secret je le faisais conduire,
Sans prévoir que peut-être on pouvait les séduire ;
Comment s’en défier, et surtout de Léna,
Tribun, que j’ai reçu de la main d’Agrippa ?
D’ailleurs à Cicéron Léna devait la vie.

Mécène

C’est à son défenseur, lui seul qui l’a ravie.
L’intrépide orateur a vu sans s’ébranler,
Lever sur lui le bras qui l’allait immoler.
C’est toi, Léna, dit-il, que rien ne te retienne ;
J’ai défendu ta vie, arrache-moi la mienne,
Je ne me repens point d’avoir sauvé tes jours,
Puisque des miens, c’est toi qui dois trancher le cours.
À ces mots, Cicéron lui présente la tête,
En s’écriant : Léna, frappe, la voilà prête.
Léna, tandis que l’air retentissait de cris,
L’abat, court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet si touchant loin d’attendrir son âme,
N’a fait que redoubler le courroux qui l’enflamme ;
Les yeux étincelants de rage et de fureur,
Elle embrasse Léna, sans honte et sans pudeur ;
Saisit avec transport cette tête divine,
Qui semble avec les dieux disputer d’origine,
En arrache... Épargnez à ma vive douleur,
La suite d’un récit qui vous ferait horreur.