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Tandis que c’est lui seul qui détruit, persécute,
Aux pleurs qu’il fait verser c’est moi qui suis en butte.
Vos soldats rebutés de servir d’assassins,
M’ont déjà reproché vos ordres inhumains.
On dirait qu’en effet votre coeur sanguinaire,
Fait du sang des mortels sa substance ordinaire,
Qu’il ne voit qu’à regret des hommes innocents ;
Car vous les croyez tous criminels ou méchants,
Et bientôt à vos yeux dans son sein déplorable,
Rome n’offrira plus qu’un gouffre abominable,
Que vous achèverez de combler de forfaits ;
Mais comme je suis las d’en supporter le faix,
Adieu.

Octave

Quoi, c’est ainsi que Mécène me quitte ?
D’où peut naître, dis-moi, le transport qui t’agite ?
Ah ! loin de redoubler mon trouble et ma terreur,
De l’état où je suis, adoucis la rigueur ;
Tu sais que dès hier, j’ai cessé de proscrire.
Antoine qui jouit avec moi de l’empire,
Pour me perdre d’honneur, par ses détours secrets,
Fait passer sous mon nom ses horribles décrets.

Mécène

Est-ce à vous de ramper sous les lois d’un infâme,
Asservi lâchement aux fureurs d’une femme ?
Triumvir comme lui, libre de tout oser,
Au plus cruel trépas il fallait s’exposer,
Et laver dans son sang une pareille injure.
Un affront vit toujours sur le front qui l’endure ;
Qui ne s’en venge pas est fait pour le souffrir.
On croirait, à vous voir tour à tour vous flétrir,
Par l’odieux trafic des plus illustres têtes,
Que vous vous partagez le fruit de vos conquêtes.
Il abandonne un oncle, et vous, un protecteur,
Dont vous avez longtemps recherché la faveur,
À qui seul vous devez votre grandeur suprême,
Et qu’il fallait sauver aux dépens de vous-même.

Octave

Cesse de m’effrayer, et me nomme l’objet
Qui fait couler tes pleurs.

Mécène

Ingrat, qu’avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il existait un homme,
Qui fit par ses vertus les délices de Rome,
Mémorable à jamais par ses talents d