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César, qui jusqu’au ciel vit élever sa gloire,
Immortel ornement du temple de mémoire,
César, indignement traîné dans le Sénat,
N’est point encor vengé d’un si noir attentat ;
Et si je veux vous plaire, il faut que je l’oublie ;
Que je laisse un champ libre au père de Tullie,
Qui veut que de César les lâches meurtriers,
Rentrent dans le Sénat couronnés de lauriers ;
Et que sacrifiant à Brutus son idole,
J’aille de son poignard orner le Capitole.

Tullie

Auriez-vous prétendu qu’à vos ordres soumis,
Cicéron à vos coups dût livrer ses amis ;
Que de vos cruautés, spectateur immobile,
Son coeur désespéré vous laisserait tranquille ?

Octave

D’autres soins le devraient occuper aujourd’hui ;
Antoine avec fureur soulevé contre lui,
Me demande à grands cris le sang de votre père ;
Notre hymen peut sauver une tête si chère ;
Quoique d’un triumvir tout soit à redouter,
À peine sur ce point on daigne m’écouter ;
Le péril cependant redouble, et le temps presse :
Au sort de Cicéron, Rome qui s’intéresse,
Sans doute avec plaisir verrait notre union,
Le terme spécieux de la proscription :
Devenez de la paix le lien et le gage,
C’est l’unique moyen de dissiper l’orage.
Je vois ce qui vous flatte en ce cruel instant,
C’est le frivole honneur d’un refus éclatant ;
Mais ne présumez pas que je me détermine
À me priver du rang que le ciel me destine ;
Si je m’en dépouillais ce serait me livrer
Au premier assassin qui voudrait s’illustrer.

Tullie

Après ce fier aveu, je crois pour vous confondre,
N’avoir à votre amour que deux mots à répondre :
Je ne vous aime point. J’aimerais mieux la mort,
Que de me voir un jour unie à votre sort ;
Cependant si César veut déposer l’empire,
À son fatal hymen je suis prête à souscrire ;
Dût mon coeur indigné n’y consentir jamais,
Je me sacrifierai pour le bien de la paix ;
Mais si vous usurpez l’autorité suprême,
Vous pouvez de mon sang teindre le diadème.