Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/489

Cette page n’a pas encore été corrigée

Encor, si vous aviez abdiqué la puissance,
Ou plutôt d’un tyran abdiqué l’arrogance,
Vous pourriez à vos voeux permettre quelque espoir.

Octave

Si j’osais abdiquer le souverain pouvoir,
Quel rang pourrais-je offrir désormais à Tullie ?

Tullie

Le rang d’un citoyen, père de la patrie,
D’un Romain, qui ne sait briguer d’autres honneurs,
Que ceux dont la vertu couronne les grands coeurs.

Octave

Prévenu comme vous des chimères romaines,
Si de l’autorité j’abandonnais les rênes,
Pour régler ma fortune au gré de mon amour,
Antoine voudra-t-il abdiquer à son tour ?

Tullie

Eh ! que peut m’importer que le cruel abdique,
Dès que nous n’avons plus ni lois ni République ?
Impérieux amant qui me parlez en roi,
Savez-vous que Brutus est moins romain que moi ?
Régnez, si vous l’osez, mais croyez que Tullie
Saura bien se soustraire à votre tyrannie ;
Si du sort des tyrans vous bravez les hasards,
Il naîtra des Brutus autant que de Césars.

Octave

De la part de Tullie un dédaigneux silence
Eût été plus séant que tant de violence ;
Je ne m’attendais pas qu’un si cruel mépris
De tout ce que j’ai fait dût être un jour le prix :
De l’ingrat Cicéron j’ai souffert les caprices,
Sans me plaindre de lui ni de ses injustices ;
Votre père au Sénat m’a cent fois outragé,
Dans ses emportements il n’a rien ménagé ;
Avec mes ennemis son coeur d’intelligence
N’a jamais respiré que haine et que vengeance ;
Tandis qu’avec ardeur je combattais les siens,
Cicéron à me perdre encourageait les miens ;
Je viens d’en essuyer la plus sanglante injure,
Sans qu’elle ait excité le plus léger murmure,
Et l’on m’outrage, moi ; je suis un inhumain
Dont sans crime, à son gré, l’on peut percer le sein ;
Pourquoi ? Parce qu’on veut arracher aux supplices
Du meurtre de César l’auteur et les complices,
Et que le furieux qui lui perça le flanc
S’abreuve dans le mien du reste de son sang.