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M’éclaire et d’un complot me le fait soupçonner ;
C’est lui qui doit trembler, et c’est lui qui menace ?
Sans Brutus ou Sextus il aurait moins d’audace.


Scène III

Tullie, Octave.
Tullie

 Tandis que pour lui seul je venais en ces lieux,
Cicéron tout à coup disparaît à mes yeux ;
Je n’en ai pas moins vu qu’une peine mortelle,
Accablait son grand coeur d’une douleur nouvelle.
Se peut-il qu’un objet si digne de pitié,
Ne puisse triompher de votre inimitié ?
Languissant, malheureux, sans amis, sans défense,
Aurait-il de César essuyé quelque offense ?
J’ai vu que tout en pleurs il s’éloignait de vous,
Et vos yeux sont encor enflammés de courroux.

Octave

Si les vôtres daignaient lire au fond de mon âme,
Ils seraient peu troublés du courroux qui l’enflamme,
Et vous jugeriez mieux des sentiments d’un coeur
Digne de s’enflammer d’une plus noble ardeur.
Quelque haine que fasse éclater votre père,
Pour oser le haïr sa fille m’est trop chère :
Je n’oublierai jamais qu’en vous donnant le jour,
C’est à lui que je dois l’objet de mon amour ;
Ah ! loin de l’outrager, c’est Cicéron lui-même,
Qui venge ses chagrins sur un coeur qui vous aime :
Plus il est malheureux, plus je m’attache à lui,
Surtout depuis qu’il n’a que moi seul pour appui ;
C’est pour lui conserver et les biens et la vie,
Que j’arme contre moi la cruelle Fulvie ;
Lorsque César enfin s’offre pour votre époux,
Cicéron est encor plus injuste que vous.

Tullie

Je vous croyais toujours l’époux de Scribonie,
Mais avec vos pareils, malheur à qui s’allie :
À vous voir d’un hymen nous imposer la loi,
On croirait que César peut disposer de moi,
Et qu’au mépris des lois, au défaut du divorce,
Il peut quand il voudra m’obtenir par la force ;
Et qu’enfin au-dessus d’un citoyen romain,
Il veut de ses amours traiter en souverain :