Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/486

Cette page n’a pas encore été corrigée


Pour les coeurs vertueux fut toujours un forfait,
Mais les Républicains ne se font pas un crime
D’immoler un tyran même digne d’estime ;
Ils ne regardent point leur tyran comme un roi
Qu’élève au-dessus d’eux la naissance ou la loi,
Et sans avoir pour lui les lois ni la naissance
César osa des rois s’arroger la puissance ;
Non que des conjurés j’approuve la fureur :
Je déteste leur crime, encor plus son vengeur ;
Car vous multipliez à tel point les supplices,
À Brutus, vous cherchez tant de nouveaux complices,
Qu’il semble que César renaisse chaque jour
Et que chacun de nous l’assassine à son tour.
Contre un peuple à genoux armer la tyrannie,
De l’univers entier détruire l’harmonie,
Et de ses ennemis se défaire à son choix,
Rendre le glaive seul l’interprète des lois,
Employer pour venger le meurtre de son père
Des flammes ou du fer l’odieux ministère,
Donner à ses proscrits pour juges ses soldats,
Du neveu de César voilà les magistrats.
Qui vous a confié l’autorité suprême ?

Octave

Le besoin de l’État, mon épée, et moi-même.
Et de quel droit enfin osez-vous aujourd’hui
Interroger César, et César votre appui ?
Revenez d’une erreur qui vous serait fatale :
Un homme tel que moi, ne veut rien qui l’égale ;
Dès que César n’est plus et qu’il revit en moi,
Qui d’entre les Romains, doit me donner la loi ?
Croyez-vous rétablir par votre politique
D’un peuple et d’un Sénat l’union chimérique ?
Ce n’était qu’un vain nom dès le temps de Sylla,
Qui s’est évanoui depuis Catilina.
Si de nos Scipions les jours pouvaient renaître,
Ce n’est que sous moi seul qu’on les verrait paraître ;
Mais vous voyez assez qu’il n’est aucun espoir
De remettre les lois dans leur premier pouvoir ;
Le glaive qui vous fit gagner tant de victoires,
Et qui de nos exploits embellit tant d’histoires,
Le glaive qui vous fit triompher tant de fois,
Vous subjugue à son tour et triomphe des lois ;
Dès qu’il faut obéir, le parti le plus sage
Est de savoir se faire un heureux esclavage ;
La liberté n’est plus qu’un bien d’opinion,