Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/480

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne se rendra jamais qu’on ne l’ait fait mourir,
Et l’on n’apaisera la haine de Fulvie
Que de tout votre sang on ne l’ait assouvie ;
Il est vrai que contre eux Octave vous défend,
Mais de ses intérêts son amitié dépend ;
La seule ambition gouverna sa jeunesse,
Et le gouvernera jusques dans sa vieillesse ;
Ainsi n’attendez rien de ce volage appui
Que vous perdrez demain, si ce n’est aujourd’hui :
J’ai fixé mon séjour sur les rives du Tage,
C’est sur ces bords heureux devenus mon partage,
D’un pouvoir usurpé restes injurieux,
Que je veux transporter Cicéron et mes dieux ;
Venez y partager l’empire et ma fortune,
Qu’une tendre amitié doit nous rendre commune.

Cicéron

Qu’entends-je ?

Lépide

Et dans ces lieux quel est donc votre espoir ?

Cicéron

J’y veux avec le mien remplir votre devoir,
J’y veux faire moi seul, ce qu’y doit faire un homme
Qui veut mourir pour Rome, ou mourir avec Rome :
Vous croyez, je le vois, parler au Cicéron
De qui la fermeté n’illustra point le nom,
Mais je vous ferai voir que ma seule sagesse
Me fit sur ma douceur soupçonner de faiblesse.
Dans les temps orageux où mon autorité
N’avait dans le Sénat qu’un pouvoir limité,
Je laissai de Sylla triompher l’insolence ;
Le respect, sur César m’imposa le silence,
Et ce même César prouve que la douceur
Peut ainsi que la gloire habiter un grand coeur :
Quand par des soins prudents j’ai conjuré l’orage
Si l’on m’a reproché de manquer de courage
Les désordres présents, ma mort, et mes revers
Vont me justifier aux yeux de l’univers.

Lépide

Et sur quoi voulez-vous que l’on vous justifie ?
Vivez pour illustrer encor plus votre vie,
Je crains un désespoir. Ah ! mon cher Cicéron,
Le ciel ne vous fit point pour imiter Caton.

Cicéron

L’exemple de Caton serait honteux à suivre :
Plus le malheur est grand, plus il est grand de vivre.

Lépide