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Je vais chercher, Madame, un ciel moins corrompu
Pour sauver mon honneur, mon nom, et ma vertu.

Tullie

Ah ! la vertu qui fuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui sait braver l’orage ;
Que peut craindre un Romain des caprices du sort,
Tant qu’il lui reste un bras pour se donner la mort ?
Avez-vous oublié que Rome est votre mère ?
Demeurez, imitez l’exemple de mon père,
Et de votre vertu ne nous vantez l’éclat
Qu’après une victoire ou du moins un combat.
On n’encensa jamais la vertu fugitive
Et celle d’un Romain doit être plus active ;
On ne le reconnaît qu’à son dernier soupir,
Son honneur est de vaincre, et vaincu de mourir ;
De toute autre vertu rejetez le mensonge,
La mort pour un Romain n’est que la fin d’un songe ;
Mais Cicéron qui vient vous dira mieux que moi
Qu’un grand homme n’est rien, s’il ne l’est que pour soi.


Scène IV

Lépide,Cicéron.
Cicéron

 Prêt de voir consommer mon destin déplorable
Et parer de mon nom cette odieuse table,

Tableau des proscrits.

Je ne m’attendais pas qu’un lâche triumvir
Vînt m’apporter lui-même un ordre de mourir ;
Hélas ! c’est aujourd’hui tout ce que je désire,
Vous n’aurez pas besoin, cruel, de me proscrire.

Lépide

Rendez plus de justice aux soins d’un tendre ami.

Cicéron

Eh ! quel autre dessein peut vous conduire ici ?
Lépide, est-ce bien vous ? Quoi ! ce même Lépide
Qui s’enorgueillissait d’une vertu rigide,
De nos derniers malheurs sacrilège artisan,
À mes yeux indignés n’offre plus qu’un tyran.

Lépide

Cicéron, respectez l’amitié qui nous lie,
La mienne vous révère, et la vôtre s’oublie :
Quoi, si savant dans l’art de lire au fond des coeurs,
C’est vous qui des tyrans m’imputez les fureurs ?