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Scène II

Tullie, Clodomir.
Tullie

 Que cherchez-vous ici, généreux Clodomir ?

Clodomir

Ce que les malheureux cherchent tous, à mourir ;
Madame, c’en est fait, la colère céleste
Va bientôt des Romains détruire ce qui reste ;
Le jour n’éclaire plus que des objets affreux,
Et l’air ne retentit que de cris douloureux,
Les autels ne sont plus qu’un refuge effroyable
Que souille impunément le glaive impitoyable,
Un tribun massacré par ses propres soldats
Ne sert que de signal pour d’autres attentats ;
Un fils, presque à mes yeux, vient de livrer son père ;
J’ai vu ce même fils égorgé par sa mère :
On ne voit que des corps mutilés et sanglants,
Des esclaves traîner leurs maîtres expirants,
Le carnage assouvi réchauffe le carnage ;
J’ai vu des furieux dont la haine et la rage
Se disputaient des coeurs encor tout palpitants,
On dirait à les voir l’un l’autre s’excitant
Déployer à l’envi leur fureur meurtrière,
Que c’est le dernier jour de la nature entière,
Et pour comble de maux dans ces cruels instants
Rien ne m’annonce ici les secours que j’attends :
D’infortunés proscrits, une troupe choisie
Va bientôt par mes soins se trouver dans Ostie,
J’ai sauvé Messala, Metellus et Pison,
Mais ce n’est rien pour moi si je n’ai Cicéron ;
C’est à ce tendre soin que mon amour s’applique
Pour sauver à la fois vous et la République.
Fuyez, belle Tullie, et daignez un moment
Vous attendrir aux pleurs d’un malheureux amant ;
C’est pour vous, digne objet qui causez mes alarmes
Que le plus fier des coeurs a pu verser des larmes.

Tullie

Moi, fuir ! Ah, Clodomir, c’est en moi, dans mon sein
Que Rome doit trouver son salut ou sa fin ;
Les pleurs, pour m’ébranler, sont de trop faibles armes,
La vie a ses attraits, mais la mort a ses charmes.

Clodomir