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Arrachez-moi, Seigneur, à ce penchant funeste,
J'y consens : vos vertus vous répondent du reste.
Vous ne me verrez point opposer à vos feux
Le triste souvenir d'un amour malheureux ;
Nul retour vers l'ingrat ne vous sera contraire,
Moi-même j'instruirai votre amour à me plaire ;
Donnez-vous tout entier à ce généreux soin ;
Rendons de notre hymen un parjure témoin.
Vous pouvez assurer de mon obéissance
Un roi dont aujourd'hui j'ai bravé la puissance.
Allez tout préparer, je vous donne ma foi
De ne pas résister un moment à la loi.

Artaxerce.

Non, je ne reçois point ce serment téméraire.
En vain vous me flattez du bonheur de vous plaire,
En vain votre dépit me nomme votre époux,
Lorsque l'amour d'un autre a fait le choix pour vous.
Je vous aime, Amestris, et jamais dans une âme
La vertu ne fit naître une plus belle flamme.
J'aurais de tout mon sang acheté la douceur
De pouvoir un moment régner sur votre cœur ;
Mais quoiqu'en obtenant le seul bien où j'aspire,
Mon bonheur, quel qu'il soit, dût ici me suffire,
J'estime trop ce cœur pour vouloir aujourd'hui
Obtenir notre hymen d'un autre que de lui.
Dût le funeste soin d'éclaircir ma princesse,
Rallumer dans son cœur sa première tendresse ;
Dussé-je enfin la perdre, et voir évanouir
Ce bonheur si charmant dont je pouvais jouir,
Je ne puis, sans remords, abandonner mon frère
Aux coupables transports d'une injuste colère.
S'il y va de mes feux à le sacrifier,
Il y va de ma gloire à le justifier.
Je vous ai vu traiter Darius d'infidèle,
Je conçois d'où vous vient une erreur si cruelle ;
Mais si vous aviez vu ses transports comme moi,
Vous ne soupçonneriez ni son cœur, ni sa foi.
Adieu, Madame, adieu ; quelque soin qui le guide,
Darius n'est ingrat, parjure ni perfide ;
Croyez-en un rival charmé de vos appas,
Il me haïrait moins, s'il ne vous aimait pas.

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