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Seigneur, qu'avez-vous fait ?

Pharasmane

J'ai vengé mon injure, et je suis satisfait.
Aux portes du palais j'ai trouvé le perfide,
Que son malheur rendait encor plus intrépide.
Un long rempart des miens expirés sous ses coups,
Arrêtant les plus fiers, glaçait les cœurs de tous.
J'ai vu deux fois le traître, au mépris de sa vie,
Tenter, même à mes yeux, de reprendre Isménie.
L'ardeur de recouvrer un bien si précieux
L'avait déjà deux fois ramené dans ces lieux.
À la fin, indigné de son audace extrême,
Dans la foule des siens je l'ai cherché moi-même :
Ils en ont pâli tous ; et, malgré sa valeur,
Ma main a dans son sein plongé ce fer vengeur.
Va le voir expirer dans les bras d'Isménie ;
Va partager le prix de votre perfidie.

Rhadamisthe

Quoi ! Seigneur, il est mort ! Après ce coup affreux,
Frappez, n'épargnez plus votre fils malheureux.

À part

.

Dieux, ne me rendiez-vous mon déplorable frère,
Que pour le voir périr par les mains de mon père ?
Mitrane, soutiens-moi.

Pharasmane

D'où vient donc que son cœur
Est si touché du sort d'un cruel ravisseur ?
Le romain dont ce fer vient de trancher la vie,
Si j'en crois ses discours, fut l'époux d'Isménie ;
Et cependant mon fils, charmé de ses appas,
Quand son rival périt, gémit de son trépas !
Qui peut lui rendre encor cette perte si chère ?
Des larmes de mon fils quel est donc le mystère ?
Mais moi-même, d'où vient qu'après tant de fureur
Je me sens malgré moi partager sa douleur ?
Par quel charme, malgré le courroux qui m'enflamme,
La pitié s'ouvre-t-elle un chemin dans mon âme ?
Quelle plaintive voix trouble en secret mes sens,