Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/252

Cette page n’a pas encore été corrigée

se jette à ses genoux|c}}.

Faut-il pour t'en presser, embrasser tes genoux ?
Songe au prix de quel sang je devins ton époux :
Jusques à mon amour, tout veut que je périsse.
Laisser le crime en paix, c'est s'en rendre complice.
Frappe : mais souviens-toi que, malgré ma fureur,
Tu ne sortis jamais un moment de mon cœur ;
Que, si le repentir tenait lieu d'innocence,
Je n'exciterais plus ni haine ni vengeance ;
Que, malgré le courroux qui te doit animer,
Ma plus grande fureur fut celle de t'aimer.

Zénobie

Lève-toi : c'en est trop. Puisque je te pardonne,
Que servent les regrets où ton cœur s'abandonne ?
Va, ce n'est pas à nous que les dieux ont remis
Le pouvoir de punir de si chers ennemis.
Nomme-moi les climats où tu souhaites vivre :
Parle, dès ce moment je suis prête à te suivre,
Sûre que les remords qui saisissent ton cœur
Naissent de ta vertu plus que de ton malheur.
Heureuse si pour toi les soins de Zénobie
Pouvaient un jour servir d'exemple à l'Arménie,
La rendre comme moi soumise à ton pouvoir,
Et l'instruire du moins à suivre son devoir !

Rhadamisthe

Juste ciel ! Se peut-il que des nœuds légitimes
Avec tant de vertus unissent tant de crimes ;
Que l'hymen associe au sort d'un furieux
Ce que de plus parfait firent naître les dieux ?
Quoi ! Tu peux me revoir sans que la mort d'un père,
Sans que mes cruautés ni l'amour de mon frère,
Ce prince, cet amant si grand, si généreux,
Te fassent détester un époux malheureux ?
Et je puis me flatter qu'insensible à sa flamme
Tu dédaignes les vœux du vertueux Arsame ?
Que dis-je ? Trop heureux que pour moi dans ce jour
Le devoir dans ton cœur me tienne lieu d'amour !


Zénobie

Calme les vains soupçons dont ton âme est saisie,
Ou cache-m'en du moins l'indigne jalousie ;
Et souviens-toi qu'un cœur qui peut te pardonner
Est un cœur que sans crime on ne peut soupçonner.

Rhadamisthe

Pardonne, chère épouse, à mon amour funeste ;
Pardonne des soupçons que tout mon cœur déteste.