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ACTE II


Scène I.

Rhadamisthe, Hiéron.
Hiéron

Est-ce vous que je vois ? En croirai-je mes yeux ?
Rhadamisthe vivant ! Rhadamisthe en ces lieux !
Se peut-il que le ciel vous redonne à nos larmes,
Et rende à mes souhaits un jour si plein de charmes ?
Est-ce bien vous, Seigneur, et par quel heureux sort
Démentez-vous ici le bruit de votre mort ?

Rhadamisthe

Hiéron, plût aux dieux que la main ennemie
Qui me ravit le sceptre eût terminé ma vie !
Mais le ciel m'a laissé, pour prix de ma fureur,
Des jours qu'il a tissus de tristesse et d'horreur.
Loin de faire éclater ton zèle ni ta joie
Pour un roi malheureux que le sort te renvoie,
Ne me regarde plus que comme un furieux,
Trop digne du courroux des hommes et des dieux ;
Qu'a proscrit dès longtemps la vengeance céleste,
De crimes, de remords assemblage funeste ;
Indigne de la vie et de ton amitié ;
Objet digne d'horreur, mais digne de pitié ;
Traître envers la nature, envers l'amour perfide,
Usurpateur, ingrat, parjure, parricide.
Sans les remords affreux qui déchirent mon cœur,
Hiéron, j'oublierais qu'il est un ciel vengeur.

Hiéron

J'aime à voir ces regrets que la vertu fait naître :
Mais le devoir, Seigneur, est-il toujours le maître ?
Mithridate lui-même, en vous manquant de foi,
Semblait de vous venger vous imposer la loi.

Rhadamisthe

Ah ! Loin qu'en mes forfaits ton amitié me flatte,
Peins-moi toute l'horreur du sort de Mithridate :
Rappelle-toi ce jour et ces serments affreux
Que je souillai du sang de tant de malheureux :
S'il te souvient encor du nombre des victimes,