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Après de longs débats, Mithridate mon père,
Dans le sein de la paix vivait avec son frère.
L’une et l’autre Arménie, asservie à nos lois,
Mettait cet heureux prince au rang des plus grands rois.
Trop heureux en effet si son frère perfide
D’un sceptre si puissant eût été moins avide !
Mais le cruel, bien loin d’appuyer sa grandeur,
Le dévora bientôt dans le fond de son cœur.
Pour éblouir mon père, et pour mieux le surprendre,
Il lui remit son fils dès l’âge le plus tendre.
Mithridate charmé l’éleva parmi nous,
Comme un ami pour lui, pour moi comme un époux.
Je l’avouerai, sensible à sa tendresse extrême,
Je me fis un devoir d’y répondre de même,
Ignorant qu’en effet, sous des dehors heureux,
On pût cacher au crime un penchant dangereux.

Phénice

Jamais roi cependant ne se fit dans l’Asie
Un nom plus glorieux et plus digne d’envie.
Déjà, des autres rois devenu la terreur…

Zénobie

Phénice, il n’a que trop signalé sa valeur.
À peine je touchais à mon troisième lustre,
Lorsque tout fut conclu pour cet hymen illustre.
Rhadamisthe déjà s’en croyait assuré,
Quand son père cruel, contre nous conjuré,
Entra dans nos états, suivi de Tiridate,
Qui brûlait de s’unir au sang de Mithridate ;
Et ce parthe, indigné qu’on lui ravît ma foi,
Sema partout l’horreur, le désordre et l’effroi.
Mithridate, accablé par son indigne frère,
Fit tomber sur le fils les cruautés du père ;
Et pour mieux se venger de ce frère inhumain !
Promit à Tiridate et son sceptre et ma main.
Rhadamisthe, irrité d’un affront si funeste,
De l’état à son tour embrasa tout le reste,
En dépouilla mon père, en repoussa le sien ;
Et dans son désespoir ne ménageant plus rien,
Malgré Numidius et la Syrie entière,
Il força Pollion de lui livrer mon père.
Je tentai, pour sauver un père malheureux,
De fléchir un amant que je crus généreux.
Il promit d’oublier sa tendresse offensée,
S’il voyait de ma main sa foi récompensée ;
Qu’au moment que l’hymen l’engagerait à moi,