Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

numérique quelconque, ni de les échelonner comme des grandeurs, par rapport à cette propriété de forme qui constitue leur degré de simplicité, et qui donne, dans des degrés divers, à la conception théorique des phénomènes, l’unité, la symétrie, l’élégance et la beauté. La probabilité mathématique se prend dans deux sens, ainsi que nous l’avons expliqué : objectivement, en tant que mesurant la possibilité physique des événements et leur fréquence relative ; subjectivement, en tant que fournissant une certaine mesure de nos connaissances actuelles sur les causes et les circonstances de la production des événements ; et cette seconde acception a incomparablement moins d’importance que l’autre. La probabilité philosophique repose sans doute sur une notion générale et généralement vraie de ce que les choses doivent être ; mais, dans chaque application, elle est de nature à changer avec l’état de nos connaissances, et selon les variétés individuelles qui font qu’un esprit se distingue d’un autre. L’idée de l’unité, de la simplicité dans l’économie des lois naturelles, est une conception de la raison qui reste immuable dans le passage d’une théorie à une autre, soit que nos connaissances positives et empiriques s’étendent ou se restreignent ; mais en même temps nous comprenons que, réduits dans notre rôle d’observateurs à n’apercevoir que des fragments de l’ordre général, nous sommes grandement exposés à nous méprendre dans les applications partielles que nous faisons de cette idée régulatrice. Quand il ne reste que quelques vestiges d’un vaste édifice, l’architecte qui en tente la restauration peut aisément se méprendre sur les inductions qu’il en tire quant au plan général de l’édifice. Il fera passer un mur par un certain nombre de témoins dont l’alignement ne lui semblera pas pouvoir être mis raisonnablement sur le compte des rencontres fortuites ; tandis que, si d’autres vestiges viennent à être mis au jour, on se verra forcé de changer le plan de la restauration primitive, et l’on reconnaîtra que l’alignement observé est l’effet du hasard ; non que les fragments subsistants n’aient toujours fait partie d’un système et d’un plan régulier, mais en ce sens que les détails du plan n’avaient nullement été coordonnés en vue de l’alignement observé. Les fragments observés étaient comme les extrémités