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EXAMEN DE SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES.

379. — Faute de donner ce qu’elle promettait et ce qu’il était impossible qu’elle donnât, la philosophie de Platon devait promptement se modifier ; et elle était mieux organisée qu’aucune autre pour se prêter à deux tendances contraires : pour incliner vers le mysticisme et vers le pyrrhonisme. Elle devait tendre au mysticisme, lorsque la civilisation hellénique, revenant dans sa vieillesse aux fables qui avaient charmé son enfance, et subissant toutes sortes d’influences étrangères, creuserait les symboles sous lesquels la poétique imagination de Platon s’était plu si souvent à envelopper sa pensée. Mais cette dégénération du platonisme, toute curieuse qu’elle est pour l’histoire de l’esprit humain, n’a rien qui touche à notre sujet. Au contraire, la tendance au pyrrhonisme devait se montrer tout d’abord dans les jardins même de l’Académie, et aux beaux jours de la philosophie grecque ; car, après la division si nettement établie par Platon, quoi de plus naturel que de rejeter dans l’opinion (δόξα) ce qu’on n’avait pu réussir à faire entrer dans la science (ἐπιστήμη), et ce qui appartient en effet à l’opinion ? Non en ce sens qu’on puisse soutenir indifféremment le pour et le contre (ce qui est l’extravagance du pyrrhonisme), mais en ce sens qu’il faut se contenter d’inductions probables et d’arguments convaincants pour la raison, quoiqu’ils ne soient pas à l’abri de l’objection sophistique, et qu’ils n’aient pas le genre de certitude qui est propre aux démonstrations mathématiques (διάνοια). Nous ne connaissons pas assez bien ces écoles dont les anciens nous ont parlé sous les noms de seconde et de troisième Académie, pour bien apprécier la notion qu’elles avaient de la probabilité philosophique et de la nature des connaissances probables. Les écrits des philosophes de ces écoles ne nous sont point parvenus comme ceux de Platon et d’Aristote, ou comme ceux des néo-platoniciens d’Alexandrie : nous ne les connaissons que de seconde main, par des citations ou par des extraits insuffisants. Cicéron lui-même n’est qu’imitateur ; et quoique l’admirable lucidité de son esprit et son bon sens de Romain le portent en général à prendre chez les Grecs ce qu’il y a de plus solide et à abréger les subtilités scolastiques, on n’est pas bien sûr qu’il ait toujours saisi ce qui nous intéresserait le plus dans les doctrines de ses maîtres. Un Grec, dont l’étude de la géométrie, alors si florissante, aurait fortifié le jugement,