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CHAPITRE XXIV.

bilités dont ne se contente même pas la géométrie, science à ses yeux bien inférieure à celle qui a pour objet la recherche des vérités premières et de l’essence des choses ? Selon sa théorie, en effet, il y a quatre manières de connaître, dont la première et la plus parfaite, celle qui remonte aux principes et à la raison des choses, est la seule qui mérite, à proprement parler, le nom de science. Cette science par excellence a pour instrument la dialectique[1], et pour objet « les choses intelligibles que l’âme saisit immédiatement par la voie du raisonnement, en faisant quelques hypothèses, qu’elle ne regarde pas comme des principes, mais comme de simples suppositions, et qui lui servent de degrés et de points d’appui pour s’élever jusqu’à un premier principe indépendant de toute supposition. L’âme saisit ce principe, et, s’attachant à toutes les conclusions qui en dépendent, elle descend de là jusqu’à la dernière conclusion, sans s’étayer de rien de sensible, et en s’appuyant toujours sur des idées pures, par lesquelles la démonstration commence, procède et se termine[2] ». La seconde manière de connaître, qui tient le milieu entre l’opinion (δόξα) et la science véritable (ἐπιστήμη), et dont la géométrie ou l’arithmétique offrent, d’après Platon lui-même, les types les plus nets, est ce qu’il nomme διάνοια, mot embarrassant pour les traducteurs, et que nous rendrons par connaissance théorique. Cette connaissance théorique a encore pour objet des choses intelligibles ou des idées, mais d’une autre classe que celles dont il était question tout à l’heure. « L’âme, pour parvenir à les connaître, est

  1. « La dialectique de Platon est la recherche de ce qu’il y a de général dans le particulier, d’absolu dans le relatif ; la recherche de l’idéal scientifique. C’est une méthode ascendante, qui, de nos perceptions diverses écartant le multiple, le changeant, l’individuel, remonte à l’essence, au permanent, à l’un. C’est une analyse, en ce sens qu’elle décompose afin d’élaguer l’accessoire et d’atteindre le principal, ou ce qui subsiste de chaque chose dans la raison éternelle ; c’est une synthèse, en ce sens que, des phénomènes complexes et variables, elle semble former, par la vertu de l’intelligence, quelque chose qui n’est aucun phénomène. » Abélard, par M. de Rémusat, T. I, p. 300.
  2. « Τοῦτο, οὖ αὐτὸς ὁ λόγος ἅπτεται τῇ τοῦ διαλέγεσθαι δυνάμει, τὰς ὑποθέσεις ποιούμενος οὐκ ἀρχὰς, ἀλλὰ τῷ ὄντι ὑποθέσεις, οἷον ἐπιβάσεις τε καὶ ὁρμάς, ἵνα μέχρι τοῦ ἀνυποθέτου ἐπὶ τὴν τοῦ παντὸς ἀρχὴν ἰών, ἁψάμενος αὐτῆς, πάλιν αὐ ἐχόμενος τῷν ἐκείνης ἐχομένων, οὕτως ἐπὶ τελευτήν καταβαίνῃ αἰσθητῶ παντάπασιν οὐδενὶ προσχρώμενος, ἀλλ’ εἴδεσιν αὐτοῖς δι’αὐτῶν εἰς αὐτὰ, καὶ τελευτᾷ εἰς εἴδη. »