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DE LA PSYCHOLOGIE. 539

sur toute la conduite de cet homme une influence décisive : elles le feront renoncer à ses habitudes, à ses affections les plus chères ; elles le conduiront dans la solitude ; elles le détermineront à s’imposer des privations et des austérités. Il y a là pour le moraliste un intéressant sujet d’étude et une occasion d’appliquer la connaissance qu’il a acquise des ressorts du cœur humain ; mais s’imaginer que tout cela puisse s’expliquer par des plissements de fibres ou des vibrations de molécules ; exiger que les dispositions organiques conservent indéfiniment l’empreinte de toutes les affections qui plus tard influent sur les déterminations de l’âme par la puissance du souvenir, c’est tomber dans une de ces exagérations systématiques que la raison repousse, lors même qu’elle n’est pas en mesure d’en démontrer logiquement l’absurdité ou d’en prouver expérimentalement la fausseté.

Ce que nous disons pour les idées qui se rattachent à la notion du temps ou de la durée, se dirait, bien entendu, pour toutes les conceptions de la raison qui n’ont point de type physique et sensible. Il est vrai que nous ne pouvons nous occuper d’idées abstraites sans le secours de signes sensibles, et par là il y a toujours une part laissée à la sensibilité animale et à l’organisme dans le travail de la pensée. Considérons donc deux hommes qui s’occupent des mêmes spéculations abstraites, mais qui pensent dans deux langues différentes : si l’anatomie microscopique de leurs cerveaux pouvait être poussée assez loin, on y trouverait (c’est bien probable) des différences correspondant à la diversité des sons vocaux qui s’offrent pendant ce travail à l’imagination de l’un et de l’autre. D’autres modifications organiques correspondraient au degré d’attention, à l’effort intellectuel, et varieraient d’un individu à l’autre, d’après les aptitudes innées ou acquises ; tandis qu’elles pourraient être identiques, soit chez le même individu, soit chez différents individus, quoique la méditation portât sur des sujets très divers. Maintenant admettrons-nous que ces modifications organiques, insaisissables à l’observation actuelle, et pour ainsi dire infinitésimales, qui doivent principalement différer par la nature des signes sensibles servant de support à la pensée et par l’intensité de l’effort intellectuel, ont pourtant je ne sais quoi de commun ; et que ce je ne sais quoi, cet infiniment