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DE LA PSYCHOLOGIE. 533

sui generis, dont les exemples ci-dessus, dans leur simplicité, et en quelque sorte dans leur grossièreté relative, donnent pourtant l’idée.

36L — Maintenant, en quel sens peut-on dire avec Condillac que la sensation se transforme pour devenir attention, jugement, raisonnement, mémoire, désir, volonté, etc. ? Est-ce à dire que le phénomène de la sensation rende raison à lui seul de tout ce qui se passe dans l’entendement et dans la volonté, à la suite de la sensation ; que, ce premier fait étant donné, tous les autres s’y trouvent virtuellement compris, et que les plus hauts aperçus de la raison, les déterminations les plus réfléchies de la volonté ne contiennent que ce qui, était dans le phénomène de la sensation, sans additions ni retranchements, sans modifications profondes dues à l’intervention de forces qui auraient leur cause et leur principe d’action ailleurs que dans la sensation même ? Si telle était la pensée de Condillac (et à la vérité son langage se prête trop facilement à cette interprétation), on comprendrait à peine qu’une doctrine qui heurte autant le bon sens ait pu figurer parmi ces aberrations extrêmes auxquelles les philosophes ont été conduits, en cédant au désir de plier les faits de la nature à l’unité artificielle de leurs systèmes.

Mais si Condillac a simplement voulu décrire l’ordre suivant lequel les phénomènes psychologiques se succèdent, et peuvent en ce sens être considérés comme causes prochaines les uns des autres, il n’aurait fait que ce qui se pratique dans toutes les branches de l’étude de la nature, ce que font tous les physiologistes, sans qu’on se méprenne sur la portée de leur langage. Quand ils expliquent, par exemple, l’ensemble des fonctions de nutrition, en prenant la matière alimentaire à son introduction dans la bouche, en la suivant dans ses transformations à travers tout le système des appareils digestifs, et jusque dans les dernières ramifications des tissus où l’assimilation s’opère, ils ne prétendent pas que l’acte de la préhension et de la mastication des aliments suffise pour rendre raison de la digestion, ni que l’assimilation ne soit autre chose qu’une digestion prolongée et modifiée. Ils admettent l’intervention de forces et de principes divers dont le concours est la condition nécessaire de l’accomplissement de toute la fonction ; mais, faute de pouvoir remonter, par l’observation et l'ana-