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532 CHAPITRE XXIII.

360. — Quand l’homme, au lieu d’appliquer immédiatement sa force musculaire à la production d’un effet mécanique, agit par l’intermédiaire d’une machine sur les résistances à vaincre, la fonction toute passive de cette machine consiste à transformer la force vive que l’homme possède en qualité d’agent mécanique, à la concentrer ou à la disperser sur certains points de l’espace et dans certaines parties de la durée, mais sans altérer foncièrement cette force vive, et surtout sans y rien ajouter. Au contraire, quand le matelot emploie sa force musculaire à déployer et à orienter les voiles de son bâtiment, à diriger le gouvernail, à manœuvrer les cordages, au lieu d’agir lui-même sur les obstacles à vaincre, il oblige es forces de la nature, et des forces incomparablement plus puissantes que la sienne propre, à agir pour lui. Vainement tenterait-on d’expliquer les effets produits, si l’on ne tenait compte de cette intervention de forces étrangères que dirige et met en jeu le travail du matelot, mais dont il n’est point la source productrice.

L’homme lui-même et les animaux, considérés dans leur structure corporelle, peuvent être assimilés à des appareils mécaniques, où l’on retrouve des bras de levier, des points d’appui et tous les éléments d’une machine. Dans les appareils de ce genre, une contraction de faisceaux musculaires est la source de la force vive qui va ensuite, en se transformant, en se distribuant selon les lois de la mécanique, jusqu’aux organes par lesquels l’animal agit immédiatement sur les corps extérieurs. Mais, quelle que soit l’obscurité qui règne sur les causes et sur le mode du phénomène de la contraction musculaire, on ne voit pas qu’il soit possible d’échapper à cette con- clusion, que là, comme dans l’inflammation du mélange détonant, comme dans la combustion de la houille, intervient une action spéciale de la nature, par laquelle elle ne transforme pas seulement, mais crée de toutes pièces de la force mécanique. Et si l’on considère la série des phénomènes bien plus subtils encore qui interviennent entre l’action des stimulants extérieurs et la réaction nerveuse sur la fibre musculaire, on jugera qu’il se trouve entre les divers termes de la série une hétérogénéité qui ne nous permet pas de concevoir le passage de l’un à l’autre par simple transformation, et qui nous oblige au contraire à admettre l’interposition de forces naturelles