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À la vérité, comme nous avons déjà eu l’occasion d’en faire la remarque, on emploie volontiers dans le langage ordinaire le mot de cause pour désigner la raison des choses aussi bien que la cause proprement dite  ; et en cela même on ne fait que se rapprocher de la terminologie adoptée par les anciens scolastiques, qui distinguaient, d’après Aristote, quatre sortes de causes : la cause efficiente, à laquelle seule devrait appartenir le nom de cause, suivant les conventions des métaphysiciens modernes ; la cause matérielle, la cause formelle et la cause finale. Il suffit, en effet, de se reporter aux exemples donnés plus haut pour comprendre à quoi tient la nécessité où l’on est de chercher la raison et l’explication des choses, tantôt dans certaines conditions de forme, de disposition ou de structure interne (cause matérielle et cause formelle), tantôt dans des conditions d’unité harmonique (cause finale). Cette acception du mot de cause, que le bon sens a fait prévaloir dans le discours ordinaire, est la seule qui puisse justifier le rapprochement sur lequel repose la classification aristotélicienne ; car autrement il y aurait de la puérilité à dire, avec la généralité des scolastiques, que le bloc de marbre dans lequel une statue a été taillée est la cause matérielle de la statue ; et l’on ne voit pas bien nettement en quel sens il faudrait dire avec eux que l’idée conçue dans la pensée de l’artiste est la cause formelle plutôt que la cause efficiente ou la cause finale de l’œuvre. Dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, la langue commune, expression fidèle des suggestions du bon sens, vaut mieux que les définitions techniques. C’est en prenant le mot de cause dans cette large acception que peut se justifier l’adage : philosophia tota inquirit in causas ; car la raison des choses, partout où elle se trouve, est effectivement le but constant de la méditation du philosophe ; la poursuite de l’explication et de la raison des choses est ce qui caractérise la curiosité philosophique, à quelque ordre de faits qu’elle s’applique, par opposition à la curiosité de l’érudit et du savant, qui a pour objet d’accroître le nombre des faits connus, en tenant souvent plus de compte de la singularité et de la difficulté vaincue que de leur degré d’importance pour l’explication et la coordination rationnelle du système