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reflets mutuels et de leurs contrastes résultassent aussi fidèlement que possible les nuances propres à l’objet imité.

210. — Pour remédier à la défectuosité essentielle du langage, à celle qui résulte de l’impossibilité d’exprimer rigoureusement, par des combinaisons de signes artificiels distincts, des idées susceptibles de modifications continues, l’expédient le plus vulgaire consiste à multiplier les signes ou à créer des mots nouveaux. Il est en effet plus facile de multiplier les touches d’un instrument à sons fixes, que d’imiter l’habile artiste qui sait tirer de quelques cordes tous les tons possibles dans l’étendue de l’échelle musicale embrassée par l’instrument. Mais si quelquefois on obtient ainsi une approximation grossière, presque jamais cet avantage ne compense les efforts de mémoire et le travail nécessaires pour se rendre les mots nouveaux familiers ; et en définitive, la raison, d’accord avec le goût, reconnaît que les vraies ressources du langage consistent dans cette élasticité des éléments qui fait qu’ils se prêtent à plus ou moins d’extension, et dans la réaction qu’ils exercent les uns sur les autres pour la juste détermination de leurs valeurs individuelles.

Quand le travail de la pensée porte sur des objets ou des rapports précis, non continus dans leurs variations ; lorsqu’il s’agit d’idées fixes et de combinaisons déterminées entre certaines idées fixes, il serait déraisonnable de recourir à des artifices d’approximation au lieu des procédés rigoureux qu’on peut employer. En conséquence, la création de nouveaux signes, de termes nouveaux, est alors aussi légitime et profitable, qu’elle l’est peu quand elle ne tend qu’à établir une interpolation arbitraire dans une série où il y a, d’un terme à l’autre, une infinité d’intermédiaires possibles. Toutes les sciences qui précisent des idées restées vagues chez le commun des hommes, ou qui en font des associations inusitées dans le commerce naturel de la vie, doivent donc employer des termes spéciaux ou techniques. Mais il faut encore remarquer que les sciences tirent bien moins de secours de la création de termes techniques, que de celle d’un mode technique pour la dérivation et l’association des termes : ce qui revient à dire que l’établissement de règles syntaxiques pour la combinaison des signes