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et surtout l’individualité morale, s’effacent ou s’oblitèrent tellement, que l’artiste, dans le but d’exprimer ces mêmes nuances, n’ait rien de mieux à faire que de feindre une projection géométriquement impossible. Il pourra renforcer ou charger les traits, de manière à n’avoir pourtant que la juste expression de ce qu’il doit rendre ; et on ne lui reprochera de les charger, dans le sens attaché à ce mot par les artistes, que lorsqu’il outrera effectivement, non pas les linéaments du dessin, mais les caractères physiques, intellectuels ou moraux que les traits doivent exprimer. Il y a là une ressemblance d’un autre ordre que la similitude ou la ressemblance géométrique, et telle d’ailleurs que, dans des portraits pareillement ressemblants, on reconnaîtra très-bien le faire ou la manière du peintre : chaque peintre atteignant à sa manière, et par des procédés matériellement différents, le même degré de ressemblance. Il y a là enfin une ressemblance bien moins susceptible encore de mesure et d’évaluation que la ressemblance purement géométrique, quoiqu’elle soit toujours soumise à la loi de continuité dans ses altérations progressives. Si le peintre est chargé d’exécuter, non plus un portrait de famille, mais celui d’un personnage historique dont les traits physiques ne conservent guère de valeur qu’autant qu’ils ont le mérite d’accuser fortement les saillies les plus remarquables d’un type intellectuel ou moral, il aura à satisfaire à d’autres conditions de ressemblance : il devra mettre dans l’image moins d’imitation géométrique ou physique et plus d’idéal (180) ; et ce progrès vers l’idéal deviendra encore plus marqué lorsque, dans la reproduction d’un type allégorique ou d’une effigie sacrée, les formes vulgaires de l’humanité ne devront apparaître que tout autant qu’il est nécessaire pour donner un corps à l’idée que l’artiste a dû et voulu rendre.

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La tendance de l’art vers l’expression d’un idéal que l’esprit conçoit, sans avoir de formule logique pour le définir ni de méthode géométrique pour en approcher, est quelque chose de si manifeste qu’on ne l’a jamais méconnue et que la critique moderne, dans ses raffinements subtils, l’a peut-être exagérée. On a fini par faire l’artiste trop philosophe, et, au contraire, on n’a pas assez remarqué que