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moins parfaits, qui témoignent à leur manière de la fécondité inépuisable de la nature et de ses ressources infinies, mais qui ne sauraient exciter au même degré notre admiration ni éveiller l’imagination de l’artiste, parce qu’effectivement elles n’ont pas comme d’autres un type idéal et un genre de beauté qui leur soit propre.

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Supposons maintenant que l’homme agisse sur la nature pour la modifier ; qu’il crée de nouvelles races et en quelque sorte de nouvelles espèces appropriées à ses besoins et à ses jouissances : rien ne s’opposera à ce qu’il y ait aussi pour ces espèces plus récentes et moins stables, des conditions de perfection et d’harmonie, un type idéal et un genre de beauté autres que ceux qui appartiennent aux espèces de la nature sauvage, quoique dérivant d’une source commune. Si l’on suppose de plus que l’imagination de l’artiste s’empare de ces types que lui offre la nature sauvage ou cultivée, pour exprimer symboliquement une idée morale ou abstraite ; si le lion est pour lui l’emblème de la force, le cheval l’emblème de l’impétuosité docile, on pourra lui permettre une certaine exagération de caractères fondamentaux ; et son œuvre sera belle, de ce point de vue de l’art, non-seulement quoiqu’il n’y ait pas dans la nature d’individus tels que ceux qu’il a représentés, mais lors même que l’existence de tels individus serait incompatible avec les conditions organiques de leur espèce. C’est ainsi que la beauté des œuvres de l’art peut se distinguer de la beauté des œuvres de la nature, et que les conditions de la perfection idéale ne sont pas nécessairement les mêmes pour les unes et pour les autres, malgré la communauté d’origine.

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Après les œuvres de l’art, faites à l’imitation des œuvres de la nature, se rangent les œuvres si spécialement appropriées aux besoins de l’homme civilisé, que la nature n’en offre point le modèle ; et pourtant là encore nous rencontrons le beau et le laid, ce bon et ce mauvais goût dont parle La Bruyère, et dont il faudrait qu’une théorie de l’esthétique rendît raison partout. Prenons pour exemple le plus simple peut-être des produits des arts plastiques, un vase que les convenances de la fabrication comme celles de l’usage assujettissent à avoir une forme circulaire ou de révolution ; de sorte qu’il ne s’agit plus que d’en tracer