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Faut-il concevoir que l’on mesure sur un grand nombre d’individus toutes les grandeurs, toutes les lignes, tous les angles qui peuvent servir à déterminer leurs formes individuelles ; que pour toutes ces grandeurs en particulier l’on prenne des moyennes, et que le système de ces valeurs moyennes détermine la forme, l’(…) du type spécifique ? Il semble que les statisticiens modernes l’aient entendu ainsi, mais sans se rendre compte d’une grave difficulté théorique. En effet, il peut bien arriver, et même il doit arriver en général, que ces valeurs moyennes ne s’ajustent point entre elles et soient incompatibles, dans leur ensemble, avec les conditions essentielles de l’existence des individus et de l’espèce. Supposons (pour prendre une comparaison étrangère, mais dont la simplicité géométrique fasse bien saisir notre pensée) qu’il s’agisse d’un triangle dont l’essence soit d’être rectangle, et dont les côtés puissent varier accidentellement entre de certaines limites, d’un individu à l’autre, sans conserver exactement ni les mêmes grandeurs absolues, ni les mêmes proportions ; on mesurera un grand nombre de ces triangles ; on prendra les valeurs moyennes de chaque côté, et, avec ces valeurs moyennes, on construira un autre triangle qu’on pourrait appeler en un sens triangle moyen, mais qui ne sera pas le type spécifique de chacun des triangles individuels, car ce triangle moyen (comme la géométrie le démontre) ne sera pas rectangle, et ainsi ne possédera pas le caractère essentiel de l’espèce. Admettons qu’on tienne compte de cette condition essentielle, en assujettissant le triangle type à être rectangle, et qu’on achève de le déterminer en donnant pour longueurs, aux deux côtés qui comprennent l’angle droit, les moyennes des longueurs de ces côtés, fournies par la série des triangles individuels : les deux angles aigus du triangle ainsi construit ne seront pas les moyennes des angles correspondants, telles que la même série les donnerait ; son aire ne sera pas l’aire moyenne ; et, en un mot, de quelque manière que l’on s’y prenne, il sera mathématiquement impossible de construire ou de définir un triangle sur lequel on trouve réalisées à la fois et reliées entre elles les valeurs moyennes de toutes les grandeurs qui prennent, pour chaque triangle individuel, des valeurs parfaitement