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vertu duquel une chose est subordonnée à une autre qui la détermine et qui l’explique.

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Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup pratiqué les philosophes pour connaître les imperfections du langage philosophique, et pour savoir que les mêmes termes y sont pris souvent dans des acceptions très-diverses ; or, le mot de raison est certainement un de ceux qui présentent la plus grande variété d’acceptions, selon les auteurs et les passages. Nous examinerons plus tard si cette imperfection du langage philosophique est un vice qu’on puisse réformer, ou un inconvénient dont la nature des choses ne permette pas de s’affranchir. Dès à présent il y a lieu de conjecturer qu’une imperfection à laquelle tant d’esprits distingués n’ont pas réussi à porter remède, constitue en effet une défectuosité naturelle et irrémédiable ; dès à présent aussi nous pouvons remarquer que le mot raison, comme la plupart de ceux qui se rapportent à la faculté de connaître, comme les mots idée, jugement, vérité, croyance, probabilité et beaucoup d’autres, ont une tendance marquée à passer, comme on dit, du sens objectif au sens subjectif, et réciproquement, suivant que l’attention se porte de préférence sur le sujet qui connaît ou sur l’objet de la connaissance. De là une ambiguïté qui affecte de la même manière tous les termes de cette classe. Ainsi l’on imposera le nom de jugement, tantôt à une faculté de l’esprit, et tantôt aux produits de cette faculté ; on entendra par idée, tantôt la pensée même, affectée d’une certaine manière, et tantôt la vérité intelligible qui est l’objet de la pensée. Il en est absolument de même des mots lÒgos, ratio, raison, qui tantôt désignent une faculté de l’être raisonnable, et tantôt un rapport