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exigeraient pour leur disparition des périodes dont jusqu’ici l’histoire n’a pu embrasser la durée, on s’apercevrait à leur affaiblissement graduel et séculaire qu’elles ne font point partie des conditions d’un état normal et définitif. Ainsi, des idées morales auraient encore la plus grande valeur pour l’homme d’état, pour l’historien politique, qu’elles seraient devenues, pour ainsi dire, indifférentes au philosophe dont la pensée aspire à faire abstraction des faits accidentels et variables, pour mieux pénétrer dans l’économie intérieure des lois permanentes de la nature. Au contraire, si une idée, une croyance morale ne s’affaiblit point par la transmission traditionnelle ; si elle se maintient ou se reproduit, compliquée ou dégagée d’accessoires variables, à tous les âges de l’humanité et chez les peuples qui différent le plus par les formes de la civilisation, elle devra être réputée tenir à la constitution naturelle de l’espèce, lors même qu’à défaut de transmission traditionnelle elle ne se développerait pas chez l’individu, ou ne s’y développerait qu’à la faveur de circonstances exceptionnelles, qui elles-mêmes, en un sens, rentrent dans le plan général de la nature et dans les conditions de l’ordre définitif et permanent ; puisque tout ce qui n’arrive que par cas fortuit et singulier est néanmoins destiné à arriver tôt ou tard, lorsque le jeu des combinaisons fortuites aura fini par amener, dans une multitude de combinaisons qui ne laissent pas de trace, la combinaison singulière qui porte en elle le principe de sa perpétuité. Qui nous dit que parmi les espèces, aujourd’hui les plus stables dans leurs caractères physiques, il n’y en ait pas dont l’origine tienne à des singularités individuelles, qui, loin de disparaître avec les individus, ont trouvé des circonstances à la faveur desquelles elles ont pu se propager et se consolider dans leur descendance ? La même remarque (pour le dire en passant) ne doit pas être perdue de vue, quand on agite la question de l’origine naturelle ou surnaturelle du langage. Il se peut que la plupart des hommes soient organisés de telle sorte que, livrés à eux-mêmes et dans les conditions ordinaires de la vie sauvage, ils n’inventeraient pas l’art de la parole ; mais il suffit que quelques individus d’une organisation plus heureuse, placés dans des circonstances plus favorables, soient capables de commencer