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ne serait pas sauvée, quand on remplacerait l’appétit du plaisir actuel ou la répugnance de la douleur instante par une sorte de balance arithmétique des plaisirs et des douleurs qui doivent se succéder dans le cours de la vie de l’individu, en conséquence de telle détermination ; ni même quand on rassemblerait en un tout solidaire, pour établir cette balance, tant d’existences individuelles ou tant de générations successives que l’on voudrait.

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C’est surtout en morale que les sceptiques ont eu beau jeu d’opposer les opinions, les maximes, les pratiques d’un peuple, d’une secte, d’une caste, d’une époque, aux pratiques, aux maximes, aux opinions en vogue dans d’autres sectes, chez d’autres nations, ou à des âges différents de l’humanité. « Un méridien décide de la vérité… Le droit a ses époques… Plaisante justice qu’une montagne ou une rivière borne… Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà… » Et à cette objection redoutable, ainsi résumée par Pascal dans sa phrase énergique, les dogmatistes n’ont pu répondre qu’en alléguant les intérêts et les passions des hommes, qui obscurcissent leur jugement dans ce qui touche à la pratique, tout en lui laissant habituellement sa netteté, tant qu’il ne s’agit que des vérités spéculatives. Mais nous ne voyons pas pourquoi l’on ferait difficulté d’accorder que dans ce qui tient aux facultés morales de l’homme, comme dans ce qu’on nomme proprement l’esprit, le génie, le caractère, les variétés de races ou même les variétés individuelles ont un champ plus libre que dans ce qui tient à l’organisation des facultés par lesquelles nous acquérons la connaissance des objets physiques et de leurs rapports. Il y a, pour toutes les espèces, des caractères plus constants, plus spécifiques, comme il y en a d’autres sur lesquels portent de préférence les variétés individuelles ou les variétés de race ; et de même, quand on rapproche plusieurs espèces du même genre, on reconnaît que le genre n’est constitué naturellement que par la persistance de certains caractères plus fondamentaux que ceux dont la variation différencie les espèces. Il est selon toutes les analogies, que les facultés qui existent fondamentalement chez les animaux voisins de l’homme, comme chez l’homme, quoique très-inégalement développées, aient dans l’espèce humaine plus de constance spécifique ; et au