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philosophique à introduire entre les objets de nos connaissances, et pour éclairer du flambeau de la raison les connexions et les rapports entre les faits scientifiques, positivement constatés ; et l’on ne se rendra point compte du vrai caractère des sciences mathématiques, ni du rôle qu’elles jouent dans le système des connaissances humaines, tant qu’on n’aura pas apprécié l’importance de ces questions d’ordre, et qu’on ne les aura pas résolues d’après les inductions, les analogies, les probabilités philosophiques. Plus nous avancerons dans notre examen, plus nous trouverons de motifs d’attacher une grande importance à la distinction doctrinale entre l’abstraction logique et l’abstraction rationnelle. Car, si toutes les abstractions sont des créations artificielles de l’esprit, il sera tout simple que l’esprit arrange à sa guise et selon les convenances de sa nature, le produit de ses propres facultés. Que s’il y a au contraire des idées abstraites dont le type soit hors de l’esprit humain, comme l’esprit ne peut opérer sur les idées abstraites, quelle qu’en soit l’origine, qu’en y attachant des signes sensibles (112), il pourra se trouver entre la nature des signes qu’il est tenu d’employer et la nature des idées rappelées par ces signes, certaines discordances capables de contrarier, soit la juste perception par la pensée, soit la juste expression par le langage, des liens et des rapports qu’il faudrait saisir entre les types de pareilles idées.

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De ce que les idées fondamentales des mathématiques ne sont pas des produits artificiels de l’entendement, il ne s’ensuit point que toutes les parties de la doctrine mathématique soient affranchies de conceptions artificielles qui tiennent moins à la nature des choses qu’à l’organisation de nos méthodes. Ainsi, l’application que nous faisons des nombres à la mesure ou à l’expression des grandeurs continues, est sans nul doute un artifice de notre esprit, et ne tient pas essentiellement à la nature de ces grandeurs. On a pu dire en ce sens que les nombres n’existent pas dans la nature : et toutefois, quand notre pensée se porte sur l’idée abstraite de nombre, nous sentons bien que cette idée n’est pas une fiction arbitraire ou une création artificielle de l’esprit, pour la commodité de nos recherches, comme le serait l’idée de corps parfaitement rigides ou fluides. Lorsque nous étudions les propriétés